Un mariage manqué, une manifestation historique et une victoire juridique

Le 31 octobre 1980, j'arrivais à Ottawa pour participer à une réunion de fin de semaine du Conseil national des organisations provinciales Ombudsman des handicapés(COPOH) (connu maintenant sous le nom de Conseil des Canadiens avec déficiences). J'assistais à cette réunion sous les protestations de ma famille car ma sœur se mariait et j'avais décidé de ne pas y assister afin de pouvoir discuter sur la Constitution et l'enchâssement des droits des personnes handicapées.

J'étais relativement nouvelle au Conseil. Mais j'étais outrée par le manque de garantie légale des droits humains des personnes handicapées et par conséquent impatiente de travailler avec mes collègues pour corriger cette injustice.

Cette fin de semaine-là, la majorité des discussions porta sur le gouvernement fédéral et sur son refus d'envisager l'inclusion des personnes handicapées dans la constitutionnelle Charte des droits et libertés proposée. Au début de l'automne, le Premier Ministre Trudeau avait convoqué le Parlement afin d'examiner une résolution demandant au gouvernement de la Grande Bretagne de rapatrier l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Il proposait d'enchâsser dans la première partie de la Loi, ne charte qui accorderait une garantie constitutionnelle aux droits et libertés des personnes vivant au Canada. La clause de « non-discrimination » de la Charte intéressait beaucoup les personnes handicapées.

La clause garantissait l'égalité et interdisait la discrimination pour de nombreux motifs. Mais il n'était nullement question de la déficience. Notre volonté de l'élargir était appuyée par une résolution adoptée lors de la première conférence nationale de COPOH. Avec cette résolution, nous encouragions les membres du Parlement d'appuyer l'enchâssement des droits humains des personnes handicapées physiques dans toute nouvelle Constitution. Quand nous nous sommes coalisés avec l'Association canadienne pour les retards mentaux (maintenant l'Association canadienne pour l'intégration communautaire - ACIC), nous avons modifié notre position pour y inclure aussi la déficience intellectuelle. Nous avions commencé par la déficience physique et nous sentions le besoin d'intégrer la déficience mentale.

Avant la réunion du Conseil, COPOH avait inondé les Membres du Parlement de lettres et de télégrammes pour les exhorter à enchâsser la déficience dans la clause de non discrimination. Malheureusement, juste quelques jours avant la réunion, un conseiller de Jean Chrétien, alors ministre de la Justice, avisa COPOH que seuls les motifs « qui avaient été reconnus » et qui n'exigeaient pas de « qualification substantielle » seraient enchâssés dans la clause. Et la déficience n'en faisait pas partie.

Cette nouvelle jeta la consternation et l'inquiétude sur les membres du Conseil. Nous consacrèrent alors énormément de temps à discuter et à débattre des moyens de transmettre notre message d'inclusion afin qu'il soit capté plus sérieusement. Nous avons finalement convenu de manifester publiquement nos préoccupations et notre frustration d'avoir été occultés dans le processus constitutionnel. Par conséquent, au lieu de rentrer à la maison retrouver notre famille et nos emplois, nous nous sommes réunis le dimanche soir dans un hôtel d'Ottawa afin d'organiser une manifestation publique, de préparer des pancartes de protestation et d'élaborer une stratégie médias.

Le lundi 3 novembre 1980, quatorze (14) membres de COPOH manifestèrent sur la Colline parlementaire, brandissant de pancartes et scandant des slogans afin de véhiculer notre message au gouvernement. La vue de ces personnes à multi-déficiences train de crier leurs droits était certainement une nouveauté dans la société canadienne et avait attiré l'attention des médias. Allan Simpson, alors membres de COPOH, déclara à un journaliste que « les membres de la coalition étaient prêts à amener leur cause devant les Nations Unies ou de demander au gouvernement britannique de suspendre le rapatriement jusqu'à ce que nos demandes soient comblées. » Avant la manifestation, j'avais appelé mon employeur pour la mettre au courant de mes activités. En tant que puissante activiste en droits de la personne, elle appuya ma participation. Elle me suggéra de ne pas être la première à «répandre le sang sur les marches». Malheureusement, mon adorable chienne-guide se propulsa vers l'avant et le lendemain, sans que je le sache, notre photo s'étalait à la une de plusieurs journaux du pays. Fort heureusement, ma patronne fut très encourageante vis-à-vis de notre cause et je conservais mon emploi.

Suite à la manifestation, Ron Kanary (vice-président de COPOH) et moi furent priés de rester à Ottawa pour lobbyer directement auprès des principaux politiciens. La plupart de ceux que nous avons rencontrés étaient véritablement intéressés, sensibles à nos enjeux mais, de toute évidence, essayaient eux-mêmes de comprendre comment une Charte allait fonctionner dans un contexte canadien. Nous cherchions, au moins, à obtenir une invitation pour comparaitre devant le Comité parlementaire mixte chargé d'organiser des audiences sur la Constituions proposée. Nos efforts semblent avoir porté fruits puisque peu de temps après notre visite au Parlement, COPOH reçut une invitation à témoigner devant le Comité afin de présenter notre cause.

Notre comparution devant le Comité mixte a été un point tournant pour le lobby constitutionnel de COPOH. La manifestation et notre témoignage nous ont promu notre revendication et lui ont donné de la crédibilité. Nous ne saurons peut-être jamais pourquoi, à la 23ème heure, le gouvernement à changé d'avis. C'est peut-être tout un ensemble d'éléments comme des représentants gouvernementaux et des députés fédéraux très encourageants, la proclamation de l'Année internationale des personnes handicapées, les menaces d'autres manifestations des personnes handicapées sur la Colline parlementaire, tous ont nettement joué en faveur des personnes avec des déficiences. Et le 28 janvier 1981, le Comité parlementaire mixte sur la Constitution accepta à l'unanimité de modifier la Charte afin d'y enchâsser enfin les motifs de « déficience physique et déficience mentale » dans l'article 15, à présent connu comme la garantie d'égalité de la Charte canadienne des droits et libertés.

En revenant en arrière, il y a trente ans, je suis désolée d'avoir manqué le mariage de ma sœur. Mais j'ai toujours le sentiment d'avoir pris la bonne décision en allant assister à cette tristement célèbre réunion du Conseil national en 1980. Nos efforts nous ont vraiment menés vers la victoire qui a provoqué une nouvelle reconnaissance de nos droits en tant que personnes handicapées. Je suis profondément honorée d'avoir eu la chance e jouer un petit rôle dans cette formidable victoire.~Yvonne Peters