Le Point du Président - L'Edition spéciale

Moore c.  Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique, représentée par le ministère de l’Éducation, et le Board of Education of School District No. 44 (North Vancouver),

 

Faits saillants


Le jugement de la Cour suprême du Canada

Le 9 novembre 2012, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu une autre décision historique sur  les droits des personnes handicapées.  Le  cas Moore porte sur le droit des étudiants handicapés aux mesures d’adaptation requises pour accéder à l’éducation publique et en profiter. Et à cet égard, la Cour a statué que les services d’éducation spécialisée adéquats,   ne sont pas  un « luxe dont on peut se passer ».  Elle a reconnu que de telles mesures « servent de rampe permettant de concrétiser l’engagement pris dans la Loi envers tous les enfants de la Colombie britannique. »

Représenté par Gwen Brodsky, Melina Buckley et Yvonne Peters, le Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD) est intervenu auprès de la Cour d’appel de la C.B. et de la Cour suprême du Canada (CSC).  Il a contesté les jugements des cours inférieures statuant que pour obtenir des mesures d’adaptation, les personnes handicapées doivent prouver avoir reçu un traitement inégal à celui des  autres personnes à besoins spéciaux.  Exiger une telle analyse comparative a soutenu le CCD, - analyse qui peut rapidement provoquer une plongée vers l’abîme – est tout aussi inutile qu’inapproprié.   Le CCD a soutenu qu’une mesure d’accommodement s’imposait dès qu’un obstacle discriminatoire avait été identifié.  Il s’est basé sur toute une série de causes de droits de la personne pour affirmer  que  le droit à la non-discrimination oblige les fournisseurs de services et autres à prendre des mesures positives pour accommoder les personnes handicapées et éliminer tous les obstacles à leur accessibilité.  Le CCD constate avec plaisir que la SCS  a entériné cette approche.

Les faits de la plainte Moore

Atteint,  dès son enfance,  d’un grave trouble d’apprentissage, Jeffrey Moore a eu besoin d’une intense aide pédagogique pour la lecture.  Il a bénéficié d’une vaste gamme de services de soutien au cours des quelques premières années de sa scolarité.  Mais à cause de compressions budgétaires gouvernementales, le North Vancouver School District a éliminé un programme éducatif essentiel pour Jeffrey.  Les dirigeants de l’école ont alors  avisé ses parents que seule une école privée pourrait lui offrir l’intense remédiation requise.

Jeffrey a donc été transféré à  une école privée dont les coûts ont dû être assumés par ses parents.   Son père a déposé, auprès du Tribunal des droits de la personne de la C.B., une plainte à l’encontre du district scolaire et de la province,  alléguant que leur fils avait fait  l’objet de discrimination à cause de sa déficience et avait été  privé « d’un service destiné au public. »

Les procédures

1. Le Tribunal

Le Tribunal des droits de la personne a tenu une très longue audience.  Après avoir entendu toutes les preuves, il a estimé que les élèves comme Jeffrey  avaient besoin d’une vaste gamme de services d’éducation et qu’à cause des compressions budgétaires du  North Vancouver School District,  ils ne pouvaient s’en prévaloir.  Le Tribunal a conclu que la Province et le district scolaire avaient exercé une discrimination individuelle à l’égard  de  Jeffrey et  une discrimination systémique à l’encontre des élèves ayant de graves troubles d’apprentissage en  général.

2. La Cour suprême de la C.B.

La Province et le North Vancouver School District ont interjeté appel auprès de la Cour suprême de la C.B.  La Cour a déclaré que pour établir la discrimination, la situation de Jeffrey aurait dû être comparée à celle d’autres étudiants handicapés et non pas à celle de la population étudiante en général.  Estimant que rien ne prouvait que Jeffrey avait reçu un traitement inégal à celui des autres élèves handicapés, la Cour a rejeté toute présence de discrimination et a cassé le jugement du Tribunal.

3. La Cour d’appel de la C.B.

Examinant un pourvoi subséquent, la Cour d’appel de la C.B a, à la majorité,  confirmé l’arrêt de la Cour suprême de la C.B.  Seule la juge Rowles J.A.  qui avait adopté l’analyse du CCD, s’y est opposée.  Elle a en effet expliqué que l’éducation spécialisée constituait le moyen permettant aux élèves ayant des troubles d’apprentissage « d’accéder concrètement » aux services éducatifs.  Elle a également déclaré convenir avec le CCD  qu’une analyse comparative entre les étudiants n’était ni nécessaire ni appropriée dans une cause d’accommodement.

4. La Cour suprême du Canada

La Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi Moore.  Elle a reconnu comme le Tribunal la présence de discrimination exercée par le district scolaire.


Principaux éléments du jugement de la CSC

  • L’une des questions centrales de ce cas a été de déterminer la nature du service destiné au public en général, à savoir, était-ce une « éducation spécialisée » ou « une éducation générale »?   La CSC a déclaré qu’il s’agissait d’une éducation générale.  L’éducation spécialisée est simplement le moyen par lequel les étudiants comme Jeffrey peuvent concrètement accéder aux services d’éducation générale destinés à tous les étudiants.
  • Les étudiants ayant des troubles d’apprentissage doivent bénéficier de mesures d’adaptation qui leur permettront de profiter des services d’éducation.  Selon la CSC, il s’agit de mesures  analogues aux services d’interprètes requis dans l’affaire Eldridge.   Ce n’est ni un service supplémentaire ni un service exceptionnel mais plutôt un moyen d’assurer concrètement une égalité d’accès à l’éducation publique.  Et ces mesures doivent être appropriées afin de garantir un accès concret.
  • Définir l’éducation spécialisée comme le service en cause pourrait justifier l’application de principes du genre  « séparé mais égal » ou « être à l’arrière de l’autobus », a déclaré Gwen Bordsky, l’avocate du CCD.   Or la CSC a fermement rejeté cette approche. Si Jeffrey était uniquement comparé à d’autres élèves ayant des besoins spéciaux, a déclaré la CSC, les fournisseurs de services pourraient  librement supprimer tous les programmes destinés aux personnes handicapées et être dégagés de toute imputabilité.   Une telle approche, a poursuivi la CSC, « risquerait  de perpétuer le désavantage et l’exclusion de la société ordinaire, censés être remédiés par l’application du Code (des droits de la personne). »
  • Autre point à examiner dans ce cas :  le bien-fondé des mesures imposées par le district scolaire suite aux coupures financières du gouvernement fédéral.  La CSC a conclu qu’afin d’établir  que des coupures de programmes étaient inéluctables, le conseil scolaire  aurait dû examiner d’autres solutions de rechange, ce qu’il n’a pas fait de toute évidence.


Conclusion

Le jugement Moore est une importante victoire pour le CCD.   Il confirme que  la législation sur les droits de la personne oblige  les fournisseurs de services à garantir l’accessibilité de  leurs programmes aux personnes avec des déficiences. Ce qui implique qu’ils doivent chaque fois qu’un obstacle a été identifié, instaurer une mesure d’adaptation pour le surmonter, sous réserve toutefois de contrainte excessive.  Nous devons quant à nous nous employer à transformer ces importants jugements en mesures positives.

Il incombe désormais à tous les conseils scolaires d’être proactifs dans leur budgétisation et leur programmation afin de tenir compte des  droits des personnes handicapées.   Il est tout aussi important que les gouvernements provinciaux budgètent en toute bonne foi puisque,  dans d’ensemble, ils tiennent les cordons de la bourse.    Les districts scolaires doivent établir des programmes en fonction de l’enveloppe budgétaire gouvernementale  allouée. Il a fallu quinze ans à la famille Moore pour obtenir un jugement positif de la Cour suprême du Canada.  Aucun autre enfant, aucune autre famille ne devraient avoir à reprendre le combat.