Examen des pratiques de gestion du trafic Internet des fournisseurs de services Internet

Avis public de télécom CRTC 2008-19

Réplique finale

du

Conseil des Canadiens avec déficiences
et
ARCH Disability Law Centre

28 juillet 2009

Phyllis Gordon
Avocate
(416) 469-5478
p_gordon@rogers.com

Les Lignes directrices

1. Ces instances ont pour but d'établir des lignes directrices qui « tiendront compte de la liberté des particuliers d'utiliser l'Internet à leur guise, ainsi que des intérêts légitimes des fournisseurs de services Internet de gérer leurs réseaux. » 1 CCD/ARCH soutiennent que les personnes handicapées doivent être également libres d'utiliser Internet à leur guise, sur le même pied d'égalité que les autres.

2. À moins que l'accessibilité ne soit enchâssée dans les Lignes directrices, les personnes handicapées risquent d'être largement et profondément exclues de la plupart des secteurs de la vie canadienne qui dépendent actuellement et dépendront de plus en plus du service public d'Internet . Selon le professeur Hogendorm, l'Internet est « une technologie à usages multiples, comparable à l'électricité 2. Cette affirmation démontre que l'Internet est, et sera, une ressource vitale et très répandue et que tout accès tronqué s'avèrera inéquitable pour n'importe quel groupe de notre population, y compris les personnes handicapées.

3. Ces Lignes directrices ont pour but de guider et d'orienter l'élaboration d'actions futures. Puisque la conception de lignes directrices est un acte prospectif, les problèmes anticipés doivent être nettement articulés pour éviter qu'ils ne se concrétisent et ne deviennent insolubles. Il s'ensuit donc que la plupart des préoccupations soulevées par les participants résultent non seulement d'expériences actuelles ou passées mais dépendent également de leur évaluation des répercussions éventuelles de la mise en vigueur non contrôlée des PGTI sur leurs activités et intérêts.

4. Les analyses avisées et prévisibles de nos soumissions se comparent à celles des autres parties. Les questions soulevées par tous ceux qui réclament un Internet aussi ouvert que possible, sont pour la plupart axées sur l'avenir, à court et long termes. Les créateurs, les producteurs et les innovateurs craignent de revivre les expériences passées issues de l'intégration verticale et de l'éclosion des conglomérats. Ils ont peur que leur capacité d'atteindre de nouveaux marchés ne soit entravée par la non- réglementation des contrôles d 'accès, de restreintes d'applications, de la création de listes blanches et des « divers jardins ».

5. D'autres soulèvent de légitimes préoccupations quant aux éventuelles violations de la confidentialité. Et puisque le respect de la vie privée est une valeur importante, il est justifié et sage de régler cette question dans les Lignes directrices. C'est une mesure prudente, même si l'on ne relève aucune violation des lois sur la protection des renseignements personnels et que les FSI ont publiquement affirmé leur intention de ne pas enfreindre la vie privée des Canadiennes et des Canadiens.

6. ARCH/CCD soutiennent que les Lignes directrices doivent reconnaître l'éventuelle discrimination exercée par les PGTI à l'égard des personnes handicapées et doivent donc expressément faire référence à l'accessibilité des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Le Conseil a entendu l'irréfutable témoignage non contesté du Dr Vanderheiden et de Jutta Treviranus qui expliquent comment façonner un Internet accessible. À notre avis, rien ne saurait justifier l'occultation de l'accessibilité dans les Lignes directrices.

7. De plus, tel que précisé par la Commission dans sa récente Politique règlementaire de la radiodiffusion et de télécom CRTC 2009-430, « les personnes handicapées sont généralement incapables d'influencer suffisamment le marché pour qu'on leur offre des produits et services de télécommunications accessibles. » 3 Les Lignes directrices doivent remédier à cette impuissance commerciale et à l'occultation totale de l'accessibilité par les FSI lors de ces instances, en prévoyant un Internet accessible.

8. Le CCD/ARCH déclarent également que l'alinéa 47 (a) de la Loi sur les télécommunications prévoit qu'en cas d'émission de lignes directrices, le Conseil doit non seulement l'effectuer de manière à réaliser les objectifs de la politique canadienne de télécommunication mais encore à assurer la conformité des services et tarifs des entreprises canadiennes avec les dispositions de l'article 27. Il est donc respectueusement proposé qu'en élaborant des lignes directrices générales et avisées, le Conseil évite toute possible discrimination à l'égard des personnes handicapées4. Les Lignes directrices sont équivalentes aux normes visées dans la jurisprudence citée et ne doivent donc pas être discriminatoires. « En d'autres mots, les normes doivent être aussi inclusives que possible.» 5. Nous proposons que cette approche, instaurée par la Cour suprême du Canada, régisse les Lignes directrices du Conseil.

9. Finalement, si dans ces instances, nul ne s'est opposé à un Internet non discriminatoire, nul n'en a pratiquement discuté non plus, si ce n'est l'Association des sourds du Canada et CCD/ARCH. Et plus important encore, même si les personnes handicapées constituent un pourcentage important et évolutif de la population, les participants n'ont pas endossé la prémisse du besoin absolu d'un Internet accessible. Le Conseil a donc un rôle crucial à jouer. Ce message a été puissamment véhiculé dans les Lignes directrices pour la mise en vigueur des pratiques de gestion du trafic Internet, soumises par Bell Canada; la plus grande compagnie de télécommunications au pays. Le silence de Bell vis-à-vis de l'accessibilité des services Internet est non seulement révélateur mais hautement regrettable.

Cadre au titre de l'article 36

10. CCD/ARCH proposent que le Conseil n'approuve qu'une PGTI s'inscrivant dans l'article 36 à condition d'être tout d'abord certain qu'elle n'enfreigne pas la loi. Et ce, peu importe que l'approbation soit basée sur une concordance des objectifs des politiques de télécommunications, utilise une norme plausible ou utilise une norme minimale insuffisante. Il est généralement entendu que toute démarche contraire engagerait le Conseil dans un exercice de mise en concordance qui pourrait engendrer des résultats contrevenant à la loi, y compris aux lois sur les droits de la personne et à la Loi sur les télécommunications.

11. Non seulement la discrimination pour motif de déficience n'est pas du même ordre que les intérêts des FSI en gestion de réseaux mais elle est de plus visée par un traitement juridique différant de celui appliqué aux autres types de discrimination survenant dans l'arène des télécom au titre de l'article 27. Cela est prouvé dans la jurisprudence sur les droits de la personne ainsi que dans la prise en compte, par le Conseil, des télécommunications discriminatoires en matière l'accessibilité 6. Notons surtout que si la PGTI se traduit par l'inaccessibilité, l'obligation d'accommoder exigera que des solutions alternatives soient adoptées jusqu'au point de « contrainte excessive. » Or, « le point de contrainte excessive est atteint lorsque les mesures raisonnables d'accommodement sont épuisées et qu'il ne reste plus que des solutions déraisonnables ou irréalisables » 7

Politique réglementaire de radiodiffusion et de télécom CRTC 2009-430

12. Le 21 juillet 2009, le Conseil a publié sa politique sur l'accessibilité des services de télécommunication et de radiodiffusion. Il a décrété que la principale question à régler était de déterminer comment le Conseil pouvait-il bonifier, le cas échéant, ses décisions antérieures afin d'améliorer l'accessibilité des services suivants : les services de relais; les services de télécommunication d'urgence; les services mobiles sans fil; l'information, le service et l'assistance à la clientèle; le sous-titrage codé (la composante sonore d'une émission de télévision en format texte); la vidéodescription et la description sonore (la description orale des principaux éléments visuels d'une émission de télévision) 8


13. Avec sa politique, le Conseil ordonne, exige et énonce des recommandations aux FST, en vue d'améliorer, dans un échéancier établi, l'accessibilité découlant des décisions du Conseil. La politique règle les lacunes en accessibilité dans les télécommunications et dans la radiodiffusion et se réfère à ces orientations de la manière suivante:

Afin de juger du caractère raisonnable des accommodements proposés, le Conseil se fonde aussi sur les principes directeurs qui sous-tendent les droits de la personne au Canada et qui font de l'égalité une valeur fondamentale au centre même de l'intérêt public 9.

14. Puisque ces instances examinent l'Internet de manière systémique et prospective, l'accessibilité doit être traitée de la même manière. Le Conseil décide comment progresser quant à la réglementation de l'Internet, conformément aux valeurs attribuées. Par conséquent, les cas directeurs fondés sur les droits de la personne seront ceux qui se pencheront sur l'obligation de traiter les normes et solutions sur une base systémique 10. Les Lignes directrices devraient être inclusives afin que les mesures d'accommodement des besoins des personnes handicapées ne soient pas élaborées après-coup. Ces instances peuvent et doivent traiter le droit des personnes handicapées à bénéficier des services d'Internet sans aucune discrimination et en même temps que les autres parties intéressées.

15. CCD/ARCH soutiennent en outre que certaines dispositions de la Politique règlementaire 430 ne seront pleinement exécutées que si l'accessibilité est adoptée comme ligne directrice et comme objectif des présentes instances. Par exemple, les services de relais par Protocole Internet et les services de relais vidéo (SRV) exigent une très grande qualité d'écoulement du trafic et aucun temps d'attente. Même si la Politique ne force pas les FST à fournir immédiatement des SRV, elle reconnaît que ces services pourraient être mis en vigueur dès à présent, sur une base non obligatoire. De plus, les Canadiennes et les Canadiens sourds utilisent actuellement, dans une certaine mesure, les services SRV et de vidéoconférence américains. Il est donc important que les PGTI n'entrave pas l'accessibilité de ces services ou diminue leur valeur pour la collectivité des personnes sourdes. Les PGTI susceptibles de contrecarrer la fructueuse et future mise en vigueur des SRV au Canada, devraient être rejetées.

16. La Politique règlementaire traite du sous-titrage codé et décrit l'audio et la vidéo dans le contexte télévisuel. De pair avec les questions connexes de transmission multimédia en continu, ces questions doivent également être traitées pour l'Internet. Si le Conseil doit examiner l'impact des PGTI sur l'utilisation de l'Internet aux fins d'information et de divertissement, il doit aussi évaluer son impact sur l'utilisation de l'Internet par les personnes handicapées, aux fins d'information et de divertissement. Et nous soutenons que cet examen doit s'effectuer maintenant et non lors d'un exercice de rattrapage qui s'avèrera obligatoire si le Conseil occulte actuellement la question de l'accessibilité.

Exigences en temps réel pour les personnes avec des déficiences

17. Tout au long de ces instances, la prestation des services d'Internet en temps réel a été différenciée de celle autorisant un certain temps d'attente. Ainsi, les FSI et les défenseurs de l'Internet ouvert ont reconnu la nécessité de garantir des services en temps réel de qualité pour Skype comme pour les cyber-jeux. Les FSI ont en outre déclaré qu'ils ne restreignent pas ces applications en temps réel.

18. CCD/ARCH enjoignent le Conseil d'ajouter à cette liste des communications en temps réel pour les personnes handicapées et plus particulièrement pour les communications axes sur la vidéo. Les personnes entendantes peuvent composer avec le ralenti et les pauses car la composante visuelle n'est pas trop importante pour elles; mais pour les personnes sourdes, la composante visuelle est cruciale.

19. Les interfaces de serveur pour les internautes ayant une mobilité ou une dextérité gravement limitées ont également besoin de communications en temps réel, bidirectionnelles, libres d'accès et sans temps d'attente. Tout comme la communication vidéo en temps réel, la communication en amont est aussi importante que celle en aval.

Transmission multimédia en continu

20. La diffusion des nouvelles, des films et d'autres types de divertissement sur Internet pose des questions analogues et connexes. Les alternatives ou suppléments média ne doivent être ni limités ni ralentis et exigent la même qualité d'écoulement du trafic. Permettre la libre diffusion des médias et la libre circulation des communications standards et juguler la circulation/diffusion des média requis aux fins d'accessibilité ou des nouveaux types de média serait purement discriminatoire, même si le sous-titrage, la description audio ou le langage gestuel sont fournis à partir d'une source différente de celle du film.

Questions de largeur de bande, l'adaptation des prix et l'auto-identification

21. Les personnes handicapées pourraient avoir besoin de plus larges bandes pour exécuter les mêmes activités que leurs concitoyens non handicapés. Ce point a été nettement approfondi dans le mémoire soumis par ARCH/CCD le 20 juillet 2009. Soulignons toutefois que le montant supplémentaire de largeur de bande est bien faible à côté de celui requis pour le téléchargement des films ou pour la transmission de la TVHD. « De plus, le volume requis, en pourcentage du trafic général d'Internet, pour l'accès des personnes handicapées déclinera régulièrement comparativement à celui requis pour les besoins généraux en bande large » 11

22. Lors de la phase orale des débats, le vice -président Katz a discuté avec le CCD/ARCH de la question de l'adaptation des prix au cas où un plus grand service serait exigé au nom des personnes handicapées 12. Le CCD/ARCH ont réagi en soulignant le potentiel d'Internet d'assurer une égalité des chances. Dans le paragraphe suivant; Mme Treviranus décrit parfaitement les possibilités que l'Internet offrira aux personnes handicapées:

Le fait le plus incroyable quant à l'apport de l'Internet pour les personnes handicapées, c'est qu'aucun coût supplémentaire spécial et ségrégatif ne devrait s'ajouter à nos dépenses. Grâce à son immense potentiel, l'Internet peut offrir simultanément de multiples modes de communication sans exiger d'autres dispositions spécifiques. Par conséquent, si nous pouvons utiliser l'Internet sans les éventuels obstacles que pourraient ériger certaines pratiques, nous devrions pouvoir être dégagés des coûts supplémentaires, des questions de viabilité, des coûts administratifs, du temps et du travail requis pour une personne handicapée de demander et de s'auto-identifier..........Nous pouvons nous débarrasser de tous ces facteurs et nous aurons alors la possibilité de communiquer, d'apprendre à sensibiliser, etc,,,,sans aucune disposition particulière. 13

23. En se concentrant sur les possibilités d'un Internet accessible, qui pour la plupart n'exigeront aucune disposition spécifique, CCD/ARCH ont noté que des largeurs supplémentaires de bande seraient peut-être requises pour la prochaine étape. CCD/ARCH soutiennent que dans ce cas, le Conseil pourrait, en ce qui concerne les adaptations de prix, s'inspirer des solutions adoptées dans le passé pour le tarif des appels interurbains. Et à ce sujet, CCD/ARCH réfèrent le Conseil au chapitre F de leurs Observations initiales où ils ont soigneusement examiné les principes applicables aux accommodements personnalisés » 14

Similarités des solutions avancées par CCD/ARCH et les autres parties

24. Alors que les soumissions du CCD/ARCH sont fondées sur les garanties juridiques et que l'on ne peut pleinement prévoir, à l'heure actuelle, les exigences d'installation d'un service Internet accessible aux personnes handicapées, il est important de souligner que plusieurs solutions soumises au cours de cette instance se chevauchaient. Par exemple, les problèmes énoncés par les créateurs de contenu, les producteurs et les innovateurs de l'industrie du film s'appliquent également aux concepteurs de technologies adaptatives et d'applications et services accessibles de l'Internet. Les deux groupes d'innovateurs éprouvent d'importantes et analogues préoccupations quant au potentiel des contrôles d'accès des FSI. Et, au même titre que les groupes de consommateurs et les groupes d'usagers, la collectivité des personnes handicapées redoute certaines PGTI, notamment les restreintes d'applications qui peuvent juguler leur utilisation efficace de l'Internet.

25. CCD/ARCH soutiennent que satisfaire les exigences d'accessibilité est un grave et capital facteur dans ces délibérations. Alors que le Conseil est en train d'examiner les enjeux fondamentaux, il est important de reconnaître qu'une décision bonifiant l'utilisation publique de l'Internet, avancée par les défenseurs de la neutralité du net, fera également progresser des résultats non discriminatoires. Elle fera en outre avancer la notion d'égalité comme valeur fondamentale des politiques publiques, égalité qui, nous vous le proposons respectueusement, doit être expressément réglée par le Conseil.


1. Allocution du président Von Finckenstein, c.r., 6 juillet 2009, Gatineau, Québec

2. La catégorie des TUM inclut les réseaux électriques, le réseau téléphonique et les voies ferrées. Observations initiales de Open Internet Coalition; Annexe B, témoignage de C. Hogendorn, p.1

3. Politique règlementaire 2009-430, par.8.

4. British Columbia (Public Service Employee Relations Commission) c.. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 [ci-après appelé le cas Meiorin] par. 40, 41, 55 et 68; British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles) c. British Columbia (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 [ci-après appelé le cas Grismer] , par. 22.

5. Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc., (2007) 1 R.C.S. 650, 2007, CSC 15 (ci-après appelé VIA Rail), par. 161. Se référer en général aux par. 78 à 89 des Observations initiales du CCD/ARCH

6. Se référer Observations initiales du CCD/ARCH, par. 65 à 77

7. Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc., (2007) 1 R.C.S. 650, 2007, CSC 15, par. 130

8. Politique règlementaire 2009-430, par.2

9. Idem au par.6

10. Se référer aux par. 3 et 8 ci-dessus

11. Vanderheiden, “Disability Access and Broadband Needs”, mémoire du 20 juillet 2009 soumis au CRTC lors de cette instance, p.1

12. Transcription des audiences devant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Volume 3, 8 juillet 2009 à 2417.

13. Idem de 2466 à 2468

14. Observations initiales du CCD/ARCH, par. 90 à 93