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Par des activités de renforcement de la capacité, ce projet crée une plus forte sensibilisation vis-à-vis de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), du Protocole facultatif (PF) et des mécanismes canadiens destinés à remédier à la discrimination subie par les personnes en situation de handicap. Lire la suite.
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Un bulletin du CCD.
IIdentification des coûts supplémentaires généraux liés aux déficiences, incapacités et situations de handicap assumés par les personnes handicapées et leur famille
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Note de recherche
Lucie Dumais, Alexandra Prohet et Marie-Noëlle Ducharme en collaboration avec Léonie Archambault et Maude Ménard-Dunn
Mars 2015
La recherche dont il est question dans cette note a été subventionnée par l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) de 2012 à 2014.
La rédaction de cette note de recherche a été rendue possible grâce au fonds ARUC- Pauvreté invalidante et citoyenneté habilitante du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH).
Le rapport de recherche complet est disponible en ligne, en français, sur le site Internet du LAREPPS au www.larepps.uqam.ca.
La note est disponible en ligne, en français et en anglais, sur le site Internet du LAREPPS au www.larepps.uqam.ca.
Contexte d’élaboration
Depuis plus de deux décennies, les associations de personnes en situation de handicap, les gouvernements et les chercheurs se demandent comment il est possible de compenser les coûts du handicap et d’en évaluer les montants ou la magnitude. En 2009, le gouvernement du Québec lance la politique gouvernementale À part entière qui vise notamment à accroître la participation sociale des personnes handicapées. C’est dans ce contexte particulier que s’inscrit cette recherche qui propose une identification des coûts supplémentaires généraux (CSG) encourus par les personnes en situation de handicap et leur famille[1] pour pallier les conséquences liées à leurs déficiences, incapacités ou situations de handicap[2]. En outre, l’idée d’une compensation équitable pour les personnes handicapées est de plus en plus envisagée comme une composante incontournable de toute stratégie de lutte à la pauvreté. Notons qu’une série d’enquêtes populationnelles successives a révélé, sans surprise, que les personnes en situation de handicap sont moins nanties que les autres (Crawford, 2005 et 2013 ; EPLA, 2006).
C’est à la demande de l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) que le Laboratoire de recherche sur les pratiques et les politiques sociales (LAREPPS) initie donc une démarche empirique ayant pour objectif de documenter et de quantifier les coûts supplémentaires généraux (CSG) au Québec en fonction de grands paramètres tels que le type de déficience[3] et la sévérité d’incapacité des personnes, le statut socioéconomique et la région de résidence. La recherche se distingue des travaux précédents sur cette question en raison de son spectre : elle tient compte d’une diversité de situations de handicap en lien avec les habitudes de vie[4] et prétend répertorier les situations d’un large éventail de ménages. En effet, bon nombre de recherches documentent soit une catégorie d’incapacité, une sous-région limitée, un groupe d’âge précis ou un type de situation de la vie quotidienne (par exemple, l’emploi, la vie communautaire ou le transport). Réalisée à l’aide d’une méthodologie qualitative, la recherche aura permis de recueillir des données auprès de 50 participants, par le biais de groupes de discussion et d’entrevues individuelles avec des personnes handicapées ou des parents d’enfants handicapés, dans trois régions québécoises distinctes: Montréal, Montérégie et Côte-Nord. Parallèlement au déploiement du processus d’enquête qui dure deux ans, deux entités nourrissent pas à pas la démarche par leurs réflexions d’initiés : un comité consultatif composé de chercheurs et d’acteurs du champ d’expertise du handicap et un comité de suivi assuré par l’OPQH.
Définir les coûts supplémentaires
Cette recherche est la première à distinguer deux catégories de coûts supplémentaires (CS) que doivent assumer les personnes en situation de handicap : les coûts supplémentaires généraux (CSG) et les coûts supplémentaires spécifiques (CSS). Les coûts supplémentaires que l’on qualifie de généraux (CSG) réfèrent à des dépenses non reconnues par des programmes ou des services d’intérêt public. Dès lors, ces dépenses sont diffuses et difficiles à comptabiliser, mais elles sont réelles et constituent des moteurs d’inégalités sociales et économiques. À titre d’exemple, le fait de devoir payer plus cher pour la location d’un immeuble muni d’un ascenseur ou situé près des commerces et services constitue un coût supplémentaire général : aucun programme public ne couvre ce genre de dépense. En revanche, les coûts supplémentaires spécifiques (CSS) réfèrent à des dépenses complémentaires engagées pour pallier des allocations ou des prestations de services insuffisantes au sein de programmes existants. Le fait de débourser un montant de sa poche pour compléter une subvention accordée pour l’adaptation de son domicile constitue un coût supplémentaire spécifique.
Calcul des coûts supplémentaires : état de la recherche
Depuis une vingtaine d’années, plusieurs pays occidentaux s’intéressent à la question des coûts du handicap (cost of disability), c’est-à-dire à l’argent qu’une personne handicapée doit débourser pour pouvoir jouir du même niveau de vie qu’une personne sans incapacité (Indecon, 2004). Les recherches que nous avons consultées à ce sujet ont principalement été conduites par des économistes et des organismes gouvernementaux dans le monde anglo-saxon. Jusqu’à maintenant, la littérature produite a visé à évaluer et chiffrer les coûts supplémentaires en débattant des avantages et limites de diverses approches méthodologiques. La variété des méthodes et des approches ainsi qu’une large palette de conceptions des coûts supplémentaires rendent difficile la comparaison des résultats d’une étude à l’autre (Tibble, 2005). Par exemple, tandis que des recherches mesurent les coûts supplémentaires effectifs pour des biens et services réellement acquis, d’autres s’intéressent aux coûts potentiels de besoins requis. Par conséquent, en raison de la diversité des approches, les coûts supplémentaires qui sont estimés dans les recherches varient considérablement. Par ailleurs, toutes les études se rallient au même constat : les ménages dans lesquels vivent une ou des personnes handicapées disposent de revenus relativement plus faibles que les autres ménages, notamment parce qu’ils engagent des coûts supplémentaires en raison du handicap (Stapelton, Protik et Stone, 2009). En d’autres termes, à revenu égal, les personnes handicapées ont un niveau de vie inférieur aux individus sans incapacité (Zaidi et Burchardt, 2003). De plus, les études précédentes montrent de façon générale que les coûts supplémentaires varient en fonction des types d’incapacité et de leur gravité. Beaucoup d’autres facteurs viennent aussi moduler les coûts, dont la taille du ménage et son revenu. Sur ce dernier facteur, il faut savoir que tant les coûts effectifs que les besoins requis identifiés dans les recherches augmentent selon les revenus du ménage, laissant ainsi voir la nature relative d’une estimation des coûts. Au demeurant, des études mentionnent que les personnes handicapées disposant de revenus insuffisants empiètent sur leurs besoins courants (Martin et White, 1998; Zaidi et Burchardt, 2003; Tibble, 2005).
Au Québec, les questionnements entourant la compensation des besoins des personnes handicapées remontent aux années 1980. Contrairement aux recherches recensées à l’international, peu d’études québécoises ont abordé le problème d’un point de vue économétrique; les recherches au Québec ont plutôt opté pour des approches politiques ou sociologiques s’attardant aux enjeux et éléments conceptuels de la compensation du handicap. Trois rapports d’importance ont alimenté les discussions à ce sujet: le rapport du Groupe DBSF réalisé pour la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN) en 1991-1992; le rapport de Fougeyrollas et son équipe en 1999; le rapport de Blais, Gardner et Lareau en 2004. En outre, l’Enquête québécoise sur les limitations d’activités (EQLA) de 1998, de même que l’Enquête sur la participation et les limitations d’activités (EPLA) de 2006, se sont penchées sur les coûts réellement engagés par les personnes handicapées, notamment en ce qui a trait aux soins de santé et aux services sociaux, aux médicaments, aux aides techniques ainsi qu’au transport (Camirand, Aubin, Audet et al., 2001; Camirand, Dugas, Cardin et al., 2010). Aucune de ces études quantitatives ne fait de distinction entre les coûts supplémentaires généraux (CSG) et spécifiques (CSS).
Une approche subjective
Compte tenu des forces et des faiblesses des différentes approches de calcul des coûts supplémentaires (Tibble, 2005), la présente recherche privilégie une approche subjective par entrevue. Nous avons demandé à des personnes en situation de handicap d’estimer leurs dépenses supplémentaires requises (réelles et potentielles) par rapport aux personnes non handicapées. L’étude a aussi procédé à une sélection de cas maximisant la diversité des situations au détriment de la représentativité statistique afin de connaître les besoins, comblés ou non comblés, ainsi que les stratégies budgétaires des personnes en situation de handicap ou de leur famille.
Deux catégories imbriquées dans l’expérience
Malgré l’objectif initial de cette étude exploratoire de s’intéresser strictement aux coûts supplémentaires dits généraux, il est rapidement devenu clair qu’une analyse rigoureuse exigeait de relever, de façon concomitante, les coûts supplémentaires spécifiques en présence. Il appert que les deux catégories de coûts sont intimement liées lorsque l’expérience des personnes en situation de handicap est interrogée; les répondants peinent à aborder isolément les coûts supplémentaires spécifiques et généraux. C’est donc par souci d’intégrité méthodologique que les deux catégories figurent aux résultats et sont discutées ultérieurement.
Les résultats
Tout d’abord, la recherche s’efforce d’identifier quels coûts supplémentaires se manifestent selon les habitudes de vie et les types d’incapacité, les deux variables au cœur du cadre d’analyse. Ensuite, l’étude tente de voir si d’autres facteurs, comme le statut socioéconomique des personnes ou du ménage, le lieu de résidence, l’âge ou la composition du ménage influencent la variété, la récurrence et la prévalence de tel ou tel coût supplémentaire général ou spécifique. Finalement, la recherche propose une nouvelle typologie5 des coûts supplémentaires généraux basée sur les caractéristiques des coûts plutôt que sur les habitudes de vie ou des catégories de besoins.
Que disent les résultats selon les types d’incapacité ?
Selon les données de l’étude, l’habitation, les soins de santé et les déplacements sont les habitudes de vie où les situations de coûts supplémentaires des deux catégories sont à la fois les plus variées et le plus récurrentes. En revanche, on en retrouve un peu moins dans les domaines du travail, de l’éducation, des communications, de la nutrition, des loisirs et des responsabilités. Cet écart s’explique entre autres parce que l’habitation ou les soins de santé, par exemple, concernent des besoins jugés centraux par les personnes handicapées elles-mêmes et les parents d’enfants handicapés, des besoins quotidiens qui s’étendent à toutes les étapes du cycle de vie.
De manière assez prévisible, l’étude démontre que la variété et la récurrence des coûts supplémentaires, à la fois généraux et spécifiques, sont en lien avec le type d’incapacité et les besoins particuliers s’y rattachant. Ainsi, les personnes vivant avec une déficience motrice engagent plus fréquemment des coûts supplémentaires spécifiques et généraux relatifs aux habitudes de vie que sont les déplacements, la condition corporelle, les soins de santé et l’habitation. Les personnes vivant avec une déficience sensorielle engagent davantage de coûts supplémentaires des deux catégories pour pallier des besoins particuliers en matière de communication, d’intégration au travail, de loisirs et d’habitation. Par ailleurs, les tendances décelées chez les personnes vivant avec une déficience intellectuelle, un trouble envahissant du développement (TED) et chez les personnes ayant des problèmes de santé mentale valent ici d’être distinguées. Pour les personnes vivant avec une déficience intellectuelle ou un TED, les coûts supplémentaires engagés concernent surtout les soins personnels, le soutien à la nutrition et l’habitation. Pour les personnes vivant avec un problème de santé mentale, les coûts supplémentaires sont peu nombreux et touchent la nutrition mais aussi les responsabilités civiques. Chez les individus aux prises avec de multiples déficiences, nous identifions surtout des coûts liés aux soins personnels, à l’habitation, aux déplacements et à la nutrition.
Les coûts supplémentaires spécifiques les plus récurrents
Les coûts supplémentaires spécifiques sont souvent engagés pour pallier l’insuffisance ou le manque d’accessibilité aux services de préposés des programmes de soutien à domicile. Les situations où les personnes paient de leur poche le plein tarif de l’aide ménagère d’une entreprise d’économie sociale en aide domestique, embauchent du personnel « au noir », ou compensent des parents et des proches sont très typiques. Il en va de même, dans le domaine de l’habitation, pour les montants engagés pour assurer les travaux plus lourds et les réparations du logement. Sont aussi fréquemment mentionnés les montants supplémentaires pour compléter les services offerts par le programme d’adaptation de domicile. Dans la sphère des déplacements, les personnes en situation de handicap doivent fréquemment encourir des coûts supplémentaires, tant pour les déplacements courts que pour les déplacements longs. De nombreuses personnes signalent l’engagement des familles ou l’utilisation de taxis pour assurer des transports liés aux rendez-vous médicaux ou pour des déplacements réguliers. À ce sujet, le caractère inadéquat de l’offre de transport adapté est souvent pointé du doigt, les personnes ayant à attendre parfois jusqu’à trois heures pour être pris en charge. Cet état de choses pose notamment problème pour les personnes en situation de handicap qui sont sur le marché de l’emploi. C’est le cas de Paul6, 29 ans et d’Irène, 32 ans, qui doivent compter un temps allongé soir et matin pour se rendre au travail. Par ailleurs, l’organisation actuelle du transport adapté force les personnes en situation de handicap à tout prévoir à l’avance. Comme le mentionne Irène, se déplaçant en fauteuil roulant: « Il faut prévoir 48h à l’avance, prévoir la durée de ses rendez-vous. » Ainsi, les situations imprévisibles deviennent rapidement problématiques pour les personnes en situation de handicap. Enfin, quand l’état de santé requiert des services médicaux ou des traitements de réadaptation, les personnes et leur famille doivent souvent compenser l’insuffisance des montants offerts par le programme concerné.
Les coûts supplémentaires généraux les plus récurrents
Selon l’étude, les coûts supplémentaires généraux les plus récurrents se rapportent à l’habitation, aux conditions corporelles et aux soins. Les cas où les personnes engagent des frais supplémentaires pour des logements situés près des services et commerces ou pour des logements munis d’adaptations sont très fréquents. Dans le domaine de la santé, de nombreux répondants déclarent avoir eu à payer des frais supplémentaires pour des médicaments en vente libre, ou pour l’utilisation des soins et services paramédicaux requis. Les montants pour les médicaments en vente libre peuvent représenter plusieurs dizaines de dollars par mois. C’est le cas de Cindy qui vit avec une déficience visuelle et qui est bénéficiaire des prestations du programme de Solidarité sociale. Chaque mois, elle assume les coûts de certains médicaments qui ne sont pas couverts. Elle prend ainsi des sédatifs pour son sommeil et des comprimés anti-inflammatoires pour ses migraines qui lui coûtent environ 45 $ par mois.
La valeur des coûts supplémentaires
Même si cette recherche n’avait pas pour but de quantifier les coûts supplémentaires généraux, les données recueillies permettent toutefois une estimation sommaire des coûts supplémentaires généraux encourus par les personnes et leur famille durant une année. Les situations documentées font état de CSG allant jusqu’à 7000 $ annuellement – certaines familles ne rapportant aucuns frais. La médiane se situerait donc à 750 $ par année. Il est à noter que ces coûts ne comprennent pas les pertes de salaires ni les pertes d’opportunités, les deux sujets les plus susceptibles de créer des coûts supplémentaires pour les personnes en situation de handicap. Il s’agit d’une limite méthodologique importante de la démarche.
Les coûts supplémentaires reliés à des pertes salariales
La recherche inclut certaines pertes de revenus parmi les coûts supplémentaires généraux, bien qu’il ne s’agisse pas de « dépenses » au sens propre et qu’elle n’entende pas les comptabiliser. L’étude considère la réduction des heures hebdomadaires de travail ou l’abandon d’un emploi, qu’ils découlent d’un choix ou d’une contrainte, qu’ils concernent un aidant naturel ou une personne handicapée, bel et bien comme un coût. Les pertes salariales figurent parmi les coûts supplémentaires généraux les plus importants et peuvent parfois se chiffrer en dizaines de milliers de dollars annuellement. Elles deviennent majeures dans le cas des parents qui agissent comme aidants naturels auprès de leur enfant ou de leur conjoint. Les parents d’Oscar en savent quelque chose. Ils ont tous deux laissé tomber leurs emplois durant une longue période parce que leur fils était hospitalisé. Aujourd’hui, le père d’Oscar est en réorientation professionnelle et la mère s’occupe de leur fils à temps plein. Chaque année, les pertes de revenus se comptent en dizaines de milliers de dollars.
L’influence des facteurs socioéconomiques et sociodémographiques
Les données de l’étude confirment ce que la littérature sur la question des coûts supplémentaires évoquait déjà : le statut socioéconomique des personnes ou le revenu du ménage demeure le principal déterminant de la prévalence et du niveau (bas, moyen et élevé) des coûts supplémentaires. Nos données sur la prévalence confirment cette tendance pour les coûts supplémentaires spécifiques et généraux.
Dans un autre ordre d’idées, la composition du ménage est un facteur que la littérature suggérait d’explorer. L’inclusion des familles ayant des enfants handicapés dans notre stratégie d’échantillonnage se répercute en effet dans les résultats de la recherche. En effet, les parents d’enfants handicapés semblent encourir des frais supplémentaires importants. Le type d’incapacité semble moins jouer que le revenu de la famille quand on examine la variété et la prévalence. Ainsi, plus le ménage a de revenus, plus ses coûts supplémentaires se diversifient parmi les habitudes de vie ou prennent de l’amplitude, comme abordé précédemment. Enfin, le territoire, variable incluse dans l’échantillonnage du devis initial du projet de recherche, semble avoir peu d’impact selon les données recueillies.
Quant à la sévérité de l’incapacité, pourtant identifiée comme facteur associé à l’importance des coûts dans la littérature, les données de l’étude permettent difficilement de porter un jugement. Ce résultat s’explique, théoriquement et méthodologiquement, par deux considérations : le but de la recherche n’est pas de mesurer le niveau des coûts mais bien d’identifier la variété et les formes diverses des coûts supplémentaires généraux. De plus, la grande variété des besoins couverts par les programmes au Québec (qu’ils soient remboursés en partie ou en intégralité) conduirait à égaliser les situations davantage selon le statut socioéconomique des familles que selon la gravité des incapacités.
Les coûts supplémentaires varient selon les classes sociales
L’étude démontre que les personnes ayant les revenus les plus faibles, vivant seules et bénéficiant peu des ressources de leur famille sont celles qui sont le moins susceptibles d’engager des coûts supplémentaires spécifiques ou généraux. À l’inverse, les personnes qui engagent les coûts supplémentaires spécifiques ou généraux les plus nombreux et variés disposent elles-mêmes de revenus confortables ou bénéficient du soutien financier de leur famille. Ainsi, plus une personne est pauvre, moins elle encoure de coûts supplémentaires, une tendance déjà observée dans les recherches portant sur les coûts du handicap (Martin et White, 1998; Tibble, 2005). Si cette situation semble paradoxale, elle est logique : le concept de coût supplémentaire implique de facto une certaine marge de manœuvre financière dont ne disposent pas les personnes en situation de pauvreté.
Lorsqu’on creuse un peu l’analyse du côté des personnes ayant rapporté le moins de coûts supplémentaires spécifiques et généraux, on découvre que ce sont surtout celles qui présentent des problèmes de santé mentale. Elles apparaissent comme subissant le plus d’entraves dans l’exercice de leur participation sociale. En effet, malgré leurs aptitudes, Luc, Sylvain et Marc, tous trois participants à l’étude, vivent de l’aide sociale et sont en état de grande pauvreté. Leurs besoins courants sont difficilement comblés, tandis que leur réseau familial est peu susceptible de les aider financièrement. Plus encore, plusieurs de leurs besoins particuliers importants, comme par exemple l’intégration sociale et professionnelle, demeurent sans réponse. Conséquemment, d’autres besoins, par exemple de socialisation et de participation, sont ignorés, faute de revenus. À ce sujet, le cas de Luc est patent. Dans la cinquantaine et vivant avec un problème de santé mentale grave, son état est désormais stabilisé et il a tenté un retour au travail il y a quelques années. Or, son employeur n’avait pas, selon lui, respecté les conditions d’embauche négociées avec le service d’intégration en emploi : « L’employeur a pris sa subvention, mais j’ai été laissé à moi-même, sans encadrement, ni accueil ni adaptations. J’y ai laissé ma santé et depuis ce temps, je vis plus modestement…et me contente de vivre comme ça. » Luc vit seul dans une modeste chambre en ville, il n’a pas d’ordinateur, il sacrifie beaucoup sur les loisirs et dit vivre « en ermite ».
Nos données valident ainsi l’un des résultats de la récente étude du Disability Ressource Centre of Aukland (2010) qui a mis en relief les coûts élevés requis par les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Cette piste mérite pourtant d’être approfondie.
Les conséquences économiques reliées aux situations de handicap et aux coûts supplémentaires
Rares sont les personnes handicapées ou leur famille qui ne ressentent pas les charges économiques supplémentaires reliées à leurs situations de handicap. Seuls cinq des 33 participants rencontrés individuellement déclarent que leurs dépenses supplémentaires sont aisément assimilables ou que celles-ci n’ont pas ou ont peu d’effet sur leur niveau de vie. Par contraste, dans la plupart des cas à l’étude, les personnes optent pour des combinaisons budgétaires qui impliquent de couper dans les dépenses tout en engageant certains coûts supplémentaires pour répondre à des besoins particuliers qu’ils jugent incontournables. La situation de Mylène en est un bon exemple. Dans la quarantaine, cette dernière est aveugle et souffre d’une maladie chronique. Mylène avait diminué ses heures de travail en raison de la fatigue, mais a vite été obligée de prendre un second emploi, à partir de la maison, pour joindre les deux bouts. Avec des revenus de moins de 30 000 $ par année, elle explique que les travaux d’entretien de la maison et certaines réparations sont négligés. Elle a aussi coupé les services de popote roulante.
Plusieurs cas sont illustratifs de ce que Fougeyrollas (1991) nomme la paupérisation découlant du processus de production du handicap, ou du principe socioéconomique selon lequel à revenu égal, les personnes handicapées ont un niveau de vie inférieur (Tibble, 2005 : 27; Zaidi et Burckardt, 2003; Stapelton, Protik et Stone, 2009).
La contribution des familles
Par ailleurs, les résultats de la recherche montrent bien l’importance de la contribution financière des familles. Les coûts supplémentaires assumés par les parents comptent souvent parmi les plus élevés. Les parents d’enfants mineurs semblent le plus directement affectés par les pertes de revenus et d’opportunités professionnelles. Les pertes se chiffrent parfois en milliers de dollars lorsque l’un des parents, souvent la mère, abandonne temporairement ou définitivement le marché du travail. C’est le cas de la mère d’Oscar qui, suite à l’hospitalisation de son fils âgé de 12 ans, a dû quitter son emploi afin de prodiguer des soins appropriés à son enfant. D’autres parents diminuent les heures de travail ou prennent à leurs frais plusieurs journées de congé par année pour accompagner leur enfant à des rendez-vous médicaux, à l’école ou au centre de réadaptation. La mère d’Adèle, 3 ans, explique comment elle doit sacrifier une demi- journée de salaire par semaine pour accompagner sa fille chez l’orthophoniste. « Parfois, on arrive à récupérer le temps le soir, mais la plupart du temps, ce temps est non payé. »
La recherche montre que les responsabilités familiales prennent d’autres formes lorsqu’il s’agit d’« enfants » devenus adultes, mais dont la prise en charge se poursuit au-delà des étapes normales d’acquisition de l’autonomie. C’est le cas de Cindy, 29 ans, qui est atteinte d’une maladie dégénérative. Partageant avec son père une modeste demeure, elle déclare que ses parents ont assumé « plus que leur lot » afin qu’elle accède à une certaine autonomie. En effet, jusqu’à tout récemment, les parents de Cindy défrayaient l’entièreté des coûts reliés à sa subsistance et de ses frais de scolarité afin qu’elle puisse terminer ses études collégiales. Il est à noter que l’engagement de plusieurs parents se poursuit bien au-delà du foyer familial : les parents viennent en aide financièrement à leur enfant même si celui-ci est autonome et qu’il ne vit plus au sein du même ménage.
Les territoires et les types d’incapacité
L’étude s’est intéressée à la région de résidence des personnes handicapées pour vérifier si l’éloignement des services et ressources spécialisées peut engendrer davantage de coûts supplémentaires. L’analyse montre tout d’abord que « l’effet région » est faible et varie selon la nature des besoins particuliers (eux-mêmes liés au type d’incapacité). Ainsi, certaines personnes sont peu affectées par le fait de vivre éloignées des centres urbains parce qu’elles sont peu susceptibles d’utiliser des services spécialisés et qu’elles ont accès, assez près de chez elles, aux services dont elles ont besoin. Pour les répondants pour qui le lieu de résidence a un impact, les effets d’éloignement de Québec ou Montréal se traduisent davantage par des occasions manquées (en raison de contraintes d’accessibilité) qu’en des coûts supplémentaires effectifs. Ceci implique que des personnes se prévalent moins souvent de certaines activités de réadaptation, de services de loisirs ou d’occasions de socialiser en raison de l’éloignement des points de services ou des commerces.
Vers une nouvelle typologie
L’exercice nous a conduits à développer une nouvelle typologie des coûts supplémentaires généraux, non pas basée sur des habitudes de vie ou des catégories de besoins, mais sur les caractéristiques des coûts. Six catégories sont départagées et constituent des outils pour esquisser un nouveau portrait des coûts supplémentaires.

Les principaux types de coûts supplémentaires généraux (CSG)

- Les pertes de revenu et les pertes d’opportunités liées à la consommation
- Les dons, pourboires et récompenses
- Les incidents
- Les besoins particuliers non reconnus
- Les dépenses complémentaires ou au pourtour d’un service
- Facturation « par défaut » sans accès à un service courant
Au nombre des catégories, mentionnons la première, qui fait référence aux pertes de revenus et aux pertes d’opportunités liées à la consommation. Elle permet par exemple d’évaluer les coûts supplémentaires reliés au rétrécissement des options, à l’éventail de choix et aux opportunités d’achat en raison d’un handicap. Une autre catégorie rassemble les coûts supplémentaires généraux comme les dons, les pourboires et les récompenses que les personnes en situation de handicap déboursent auprès de différentes personnes en compensation pour des services rendus. C’est le cas de Ginette, 40 ans, qui n’est pas éligible à l’aide domestique parce que l’on considère que son colocataire et sa famille peuvent assurer ses besoins. Elle compense le soutien de ces derniers en donnant des cadeaux.
Une troisième catégorie tente de traduire les coûts liés à des pertes, bris ou autres incidents liés à une déficience ou un handicap tandis qu’une autre répertorie les frais liés aux besoins particuliers non reconnus, comme par exemple l’argent déboursé par une participante pour se déplacer dans le cadre d’un protocole de recherche prometteur portant sur son handicap. Les dépenses complémentaires ou au pourtour d’un service, comme les coûts liés à la location d’un logement situé au rez-de-chaussée ou encore à l’utilisation d’une épicerie plus chère offrant le service de livraison, constituent un cinquième ensemble. Finalement, la catégorie « facturation " par défaut " sans accès à un service courant » témoigne de situations comme celle d’un participant atteint de surdité devant débourser des frais supplémentaires pour un forfait incluant des messages vocaux qu’il ne peut entendre.
À l’examen, cette catégorisation nous permet de reconnaître et de décrire une série de situations entraînant des coûts supplémentaires généraux qui n’avaient pas été répertoriées ou prises en compte dans les travaux précédents sur cette question. Le voile levé, des travaux d’investigation restent à faire.
Une pléthore de programmes, un vaste éventail d’inégalités
Au terme de l’exercice, une grande variété de coûts supplémentaires spécifiques a été identifiée, alors que la démarche cherchait surtout à faire le portrait des coûts supplémentaires généraux. Bien que les frontières qui séparent les deux catégories soient poreuses, l’omniprésence de la question des coûts supplémentaires spécifiques laisse entendre que si le dispositif québécois de compensation est très extensivement déployé, ce dernier connaît des heurts et ne parvient pas à tempérer de manière significative les inégalités sociales et économiques entre les personnes vivant avec un handicap et les personnes sans handicap. Bien que l’on compte plus de 200 programmes couvrant des besoins particuliers au Québec, ils demeurent en apparence insuffisamment dotés pour répondre aux besoins des personnes en situation de handicap.
Si les critères de départage des coûts spécifiques étaient censés mener logiquement au dévoilement des coûts généraux, nous avons dû repenser à des sous-catégories de coûts spécifiques assez bien marquées. En effet, ce processus de catégorisation nous permet de croire que de nombreux programmes offrent des ressources insuffisantes aux personnes éligibles. L’inadéquation entre les besoins des personnes et les ressources publiques à leur disposition est en partie due au fait que certains programmes sont régionalisés, donc appliqués différemment selon l’endroit, et que les programmes fonctionnent selon des listes qui affichent des temps d’attente excessifs. De plus, la médiocrité de certains services incite les bénéficiaires à recourir à des services alternatifs, entraînant du coup des coûts supplémentaires spécifiques que la présente recherche devait prendre en compte.
Il importe de mentionner au passage que la méconnaissance des programmes est à l’origine de nombreux coûts supplémentaires spécifiques : le nombre de programmes ainsi que la complexité du réseau expliquent peut-être cet état de chose. Comme plusieurs répondants en ont témoigné, « l’accès aux services est un travail à plein temps ».
De manière générale, il a été plus aisé de sous-catégoriser les coûts supplémentaires généraux que leurs corollaires spécifiques, grâce notamment à la catégorisation mise en place. Cela étant, d’autres types de coûts supplémentaires généraux ont été plus difficiles à isoler des coûts supplémentaires spécifiques parce qu’ils mettent en jeu la question de la reconnaissance de besoins particuliers qu’un programme devrait prévoir. En effet, l’enquête a dénombré bon nombre de dépenses effectuées pour des services dont les effets étaient jugés bénéfiques par les personnes mêmes ou leur famille.
Répertorier l’incalculable
Au cours des entretiens d’enquête, il a souvent été délicat pour les participants d’aborder la question des frais supplémentaires en évoquant certains coûts non monétaires, tels que les pertes de jouissance et les opportunités manquées. Ainsi, plusieurs répondants, surtout des parents, ont parlé de sacrifices, petits et grands, de « deuils complexes à faire », de « coûts moraux », d’anxiété, de peine et de tristesse. Les coûts non monétaires, que la présente recherche classe comme des CSG, peuvent se traduire en perte d’opportunité aussi importante qu’un retrait définitif du marché de l’emploi pour les personnes elles- mêmes ou pour leur famille. Bien qu’incontournables, les coûts non monétaires demeurent extrêmement ardus à répertorier.
Un autre grand écart
La question des coûts supplémentaires permet de mettre en lumière un second fossé, celui-là entre personnes nanties et pauvres en situation de handicap. Bien que nous n’ayons pas privilégié une méthode quantitative, nos données évoquent un lien quasiment proportionnel entre la variété des coûts supplémentaires effectifs et les revenus des personnes et ménages. Ainsi, les ménages plus pauvres (à besoins équivalents ou pour une même catégorie d’incapacité) rapportent moins de coûts supplémentaires spécifiques et généraux mais plus de privations.
L’étude des coûts supplémentaires souligne à quel point l’expression des besoins particuliers est variable : elle dépend de l’environnement social et familial et peut traduire des positions de repli, de débrouillardise ou de grande combativité. S’il est légitime de penser que les dépenses reflètent nos valeurs et notre milieu familial, ce rationnel ne s’applique pas aux personnes pauvres vivant en situation de handicap. Les dépenses supplémentaires se transforment dans leur cas en un plus grand nombre d’obstacles objectifs à leur participation sociale, plutôt qu’en un ensemble de choix subjectifs entre diverses opportunités.
La recherche permet de cerner certaines situations où l’existence de coûts supplémentaires constitue davantage qu’un frein à l’émancipation des personnes; elle entraîne des conséquences négatives importantes sur l’intégration sociale et professionnelle des individus. Dans un contexte d’austérité budgétaire où les services aux citoyens les plus vulnérables sont menacés, la reconnaissance des coûts supplémentaires généraux et spécifiques par le gouvernement constituerait un levier à la participation sociale des personnes en situation de handicap et, du coup, une reconnaissance de leur droit à l’autodétermination.
- [1] La recherche s’est appliquée à interviewer des adultes en situation de handicap mais également des parents de personnes en situation de handicap d’âges variés.
- [2] Cette question des coûts supplémentaires figure au tableau des onze actions jugées prioritaires par la politique gouvernementale.
- [3] Quatre catégories d’incapacité ont été retenues : les situations de déficience motrice; de déficience sensorielle; de déficiences multiples; les problèmes de santé mentale, de déficience intellectuelle et de trouble envahissant du développement (TED).
- [4] Les données doivent couvrir un large ensemble de situations et secteurs d’activités, définis d’emblée par la grille des treize habitudes de vie développée à l’Institut de réadaptation en déficience physique (IRDP) (Fougeyrollas et al., 1998) et englobant tous les types d’incapacité répertoriés à l’OPHQ. Les habitudes de vie retenues sont les suivantes : nutrition; condition corporelle; soins personnels; communication; habitation; déplacements; responsabilités; relations interpersonnelles et vie communautaire; éducation; travail; loisirs.
- [5] Par exemple, les pertes d’opportunités, les récompenses aux aidants, les incidents, les dépenses non reconnues, les dépenses au pourtour de services reconnus et la facturation par défaut d’un service courant.
- [6] Noms fictifs utilisés dans la douzaine de vignettes proposées dans le rapport de recherche et issus du corpus empirique de données.
Les alliés de « Mettons fin à l’exclusion » manifestent pour l’avènement d’un Canada accessible et inclusive.