Examen de la ratification par le Canada du Protocole facultatif des Nations Unies se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées

Soumis par le Conseil des Canadiens avec déficiences
16 mars 2017


Contexte :
Le Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD) est, depuis le début en 2002 des négociations ayant donné naissance à la Convention, un membre actif de la société civile de la CDPH.  Depuis quinze ans, nous affirmons constamment que la CDPH et son Protocole facultatif sont des instruments cruciaux pour la garantie et l’avancement des droits des personnes en situation de handicap, au Canada comme à l’étranger.

C’est pourquoi, nous nous réjouissons de cette invitation de soumettre des commentaires approfondis.  Étant donné l’importance que le CCD attache au PF, nous avons pris le temps de consulter nos membres et plusieurs experts en droit international. Nous vous présentons donc une synthèse de leurs points de vue et des nôtres recueillis dans le cadre d’un processus s’apparentant fortement à celui utilisé il y a plusieurs années pour l’élaboration de la Convention.

1.  Les obligations énoncées dans le Protocole facultatif

Les pays ratifiant le protocole facultatif concernant la CDPH acceptent que des citoyens puissent éventuellement porter plainte auprès du Comité des droits des personnes handicapées si, en cas de violation des dispositions de la Convention, tous les recours juridiques nationaux ont été épuisés.  Ils acceptent également en principe que le Comité enquête sur les violations des droits de la personne.

Le Protocole facultatif concernant la CDPH autorise le Comité des droits des personnes handicapées à lancer une procédure d’instruction qui lui permettra d’enquêter sur de présumées violations, flagrantes ou systémiques, des droits de la personne, au titre de la CDPH.  Un « État partie peut déclencher une procédure d’instruction si le Comité reçoit des « renseignements crédibles sur de graves ou systémiques violations » des dispositions de la Convention.  Le Protocole facultatif concernant la CDPH offre aussi un moyen de soumettre au Comité, par le biais de la Commission d’enquête, des cas flagrants de violation grave ou systémique des droits prescrits par la Convention.  Cela se répercute aussi sur les mécanismes d’intervention dont peuvent se prévaloir les particuliers et les organisations pour soulever les cas particulièrement flagrants d’abus graves ou systémiques.
2.  Quelles sont les répercussions sur vous, en tant qu’individu, sur votre organisme et sur les individus représentés par votre organisme, de la ratification éventuelle du Protocole facultatif par le Canada?

Pour les personnes en situation de handicap et leurs organisations représentatives, le Protocole facultatif concernant la CDPH ouvre   surtout de nouvelles pistes de soumission des causes individuelles de violation des droits prescrits par la Convention.  Il autorise ainsi, par le biais de la procédure d’instruction, la discussion ciblée d’enjeux importants pour des personnes handicapées dont les droits et libertés fondamentales risquent d’être violés. Inscrire de telles causes à l’ordre du jour du Comité des droits des personnes handicapées peut permettre de mieux saisir les exigences juridiques de la CDPH.

De plus, cette ratification par le Canada pourrait ouvrir une nouvelle avenue aux organisations de personnes en situation de handicap, une avenue où pourraient se retrouver les défenseurs des droits des personnes handicapées, les défenseurs des droits des enfants, les défenseurs des droits des femmes ainsi que les défenseurs des droits culturels, économiques et sociaux, pour travailler ensemble.

En cas d’échec gouvernemental de la protection des droits prescrits par la Convention (notamment des gouvernements provinciaux et territoriaux), et après épuisement des recours nationaux disponibles par l’entremise des cours/tribunaux, l’ouverture d’une procédure internationale de plainte est extrêmement importante pour les personnes/groupes dont les droits ont été enfreints.

La simple disponibilité de cette procédure dissuadera les gouvernements, à tous les paliers, d’adopter des positions politiques qui risqueraient de les amener à comparaître devant l’organe de suivi du traité.  Malheureusement au Canada, de nombreuses cours d’appel provinciales invoquent la Charte canadienne des droits et libertés ou la Loi canadienne sur les droits de la personne pour débouter des plaintes fondées sur le handicap.  Par ricochet, la CSC rejette les autorisations d’interjeter appel, ouvrant ainsi la porte aux recours au titre du Protocole facultatif.   Cette option est nettement cruciale pour les plaignants.

3.  Les avantages ou les inconvénients liés à la ratification du Protocole facultatif par le Canada.

En ratifiant le P.F., le Canada affirmera son adhésion à un groupe de démocraties constitutionnelles qui garantissent de plein gré les droits de la personne et leur imputabilité afférente.  S’il ne faut pas surestimer l’impact de la ratification des protocoles facultatifs se rapportant aux conventions de droits de la personne, comme le PF concernant la CDPH, il ne faut pas non plus négliger le fait que la ratification de tels accords engendre de positives conséquences.

Tout d’abord, en habilitant les personnes handicapées et leurs alliés à dénoncer des violations de droits de la personne auprès du Comité de la CDPH, par le biais de la procédure quasi-judiciaire de communications ou la procédure d’enquête, les gouvernements sont obligés de prendre les droits de la personne au sérieux.   Cette obligation impose des judicieuses pressions, même dans le pays comme le Canada qui, comparativement, ont déjà adopté un excellent cadre de garantie des droits.

Deuxièmement, le droit des particuliers de porter plainte auprès du Comité des droits des personnes handicapées permettra certainement à dégager un clair consensus des obligations prescrites par la CDPH.   En tenant compte de la situation concrète des particuliers qui ont épuisé tous les recours nationaux, le PF aidera le Comité des droits des personnes handicapées à clarifier au fil des ans les clauses normatives de la CDPH et à garantir une application appropriée des obligations.   Ce qui par ricochet, constituera une jurisprudence susceptible de guider les États quant à l’application de la Convention.

Troisièmement, dans les stratégies nationales sur les droits de la personne, la ratification de tout accord international incite les citoyens à éclairer différemment leur rôle d’intervenants et de défenseurs des droits.  Elle les aide à se concentrer sur des tactiques d’intervention, confère une légitimité à leur demande inhérente et crée de nouvelles possibilités de coalisation nationale.   Ce qui est particulièrement important pour la collectivité des personnes en situation de handicap, longtemps marginalisée, reléguée à des tangentes en matière d’activisme en droits de la personne.  Avec cette ratification, les OPH seront placées sur le même pied d’égalité que les autres acteurs canadiens de la société civile, plus expérimentés quant aux procédures de recours auprès des organes de suivi des traités onusiens.

Quatrièmement, les quelques données que nous avons sur les mécanismes conférant aux particuliers le droit absolu de porter plainte au niveau international, nous prouvent que cette qualité pour agir devant un comité d’experts engendrera des résultats encore plus positifs.  L’affaire Lovelace c. Canada (1997) montre comment un Protocole facultatif peut protéger les droits individuels de la personne.  Après avoir épuisé tous les recours canadiens, Mme Lovelace s’était tournée vers le Comité des droits de la personne des Nations Unies pour mettre fin à la discrimination exercée à l’égard des femmes autochtones ayant perdu leurs droits issus de traités suite à un mariage avec une personne non autochtone.

Et le dernier argument, c’est que cette ratification par le Canada donnera à d’autres pays l’élan d’en faire autant.  Tout porte à croire que les États s’attaquent à la ratification du protocole facultatif après que leurs homologues l’ont fait.  Aussi modeste doit-elle, cette pression encouragera d’autres pays à ratifier le P.F. et à étendre l’accès des particuliers à une interprétation autorisée de leurs droits économiques, sociaux et culturels.  Et étant donné le soutien général de la société canadienne apporte à la CDPH, cet argument bonifiera l’importance de notre ratification.


4.  Est-ce les Canadiens en situation d’handicap ou les organismes qui les représentent ont utilisé les mécanismes de présentation de plaintes prévus dans les autres traités relatifs aux droits de la personne auxquels le Canada est parti, et comment ?
Au Canada, les organisations de personnes en situation de handicap et leurs alliés peuvent se prévaloir des procédures d’instruction de plaintes liées aux autres conventions auxquelles le Canada a adhéré.  Ce qui est loin toutefois d’attribuer compétence au Comité des droits des personnes handicapées, un organe composé de spécialistes en droits des personnes en situation de handicap et de spécialistes de la CDPH, un organe spécifiquement chargé de la seule convention qui, dans le système onusien,  ne porte que  sur les droits des personnes handicapées.  Par conséquent, restreindre l’accès à des organes autres que le Comité des droits des personnes handicapées est loin de garantir l’accès à des mécanismes plus équipés pour redresser de graves infractions aux obligations de la CDPH.   Les autres organes de traités n’ont pas prouvé leur expertise quant à l’application des normes non-CDPH aux personnes en situation de handicap.  En théorie, d’autres organes de traités dotés de mécanismes d’instruction des plaintes peuvent paver des voies de recours pour le traitement des violations des droits des personnes handicapées.  Mais cela ne doit en rien se substituer à la ratification du Protocole facultatif.

5.  Tout autre commentaire que vous souhaitez partager ?

Nous estimons, pour toutes les raisons susmentionnées, que la ratification du Protocole facultatif concernant la CDPH est une étape importante dans la reconnaissance des droits des personnes en situation de handicap, non seulement au Canada mais encore dans le programme mondial des droits de la personne.

La ratification impliquera une totale adhésion aux outils mis à la disposition du Comité des droits des personnes handicapées ; elle permettra aux défenseurs des droits des personnes en situation de handicap de se retourner vers le Comité, sous réserve des critères prescrits dans le Protocole facultatif et dotera le Canada d’une influence supplémentaire pour diplomatiquement inciter les autres pays à s’intégrer  pleinement dans le réseau international des droits de la personne.

En terminant, nous aimerions vous remercier de nous avoir permis d’exposer notre point de vue à ce sujet.