ENVISAGER DES POSSIBILITÉS INÉDITES : UNE NOUVELLE ARCHITECTURE DE POLITIQUE SOCIALE POUR LES CANADIENS HANDICAPÉS

MÉMOIRE
PRÉSENTÉ AU
SOUS-COMITÉ SÉNATORIAL SUR LES VILLES
LE SÉNAT DU CANADA

PAR

MICHAEL J. PRINCE
PROFESSEUR TITULAIRE DE LA CHAIRE LANSDOWNE
EN POLITIQUE SOCIALE
UNIVERSITÉ DE VICTORIA
mprince@uvic.ca

Le 22 juin 2009

APERÇU

Dans l’optique d’une nouvelle architecture de politique sociale sur les prestations d’invalidité, le présent mémoire vise premièrement à mettre l’accent sur les graves problèmes de pauvreté qu’éprouvent des milliers de Canadiens atteints d’une déficience mentale ou physique; deuxièmement, à décrire comment un nouveau programme national de revenu de base destiné aux personnes ayant une déficience grave pourrait être combiné à un crédit d’impôt remboursable pour les personnes handicapées ainsi qu’aux mesures fiscales et aux programmes de prestations fédéraux et provinciaux; troisièmement, à proposer des modifications précises au programme de prestations-maladie de l’assurance-emploi et au programme de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada; et quatrièmement, à définir d’autres initiatives comme un programme global du gouvernement fédéral pour améliorer la situation des Canadiens handicapés.

LA SITUATION ACTUELLE : PAUVRETÉ GÉNÉRALISÉE ET CHRONIQUE

Au Canada, une proportion importante des dépenses publiques sert à venir en aide aux personnes handicapées par l’entremise des programmes provinciaux et territoriaux d’assistance sociale; cette proportion est plus élevée que dans la plupart des pays de l’OCDE. Au milieu des années 1990, on estimait que les personnes handicapées représentaient 20 à 25 p. 100 des cas et des dépenses d’assistance sociale. Aujourd’hui, une dizaine d’années plus tard, c’est entre 40 ou 50 p. 100. Depuis la suppression du Régime d'assistance publique du Canada ainsi que l’adoption du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS) en 1996 et du Transfert canadien en matière de programmes sociaux (TCPS) en 2004, le gouvernement fédéral n’a aucun engagement direct et significatif dans la prestation d’aide sociale aux personnes handicapées.

Récemment, une grande coalition de groupes canadiens de défense des personnes handicapées a déclaré ceci :

Bon nombre de Canadiens handicapés et leurs familles se heurtent encore quotidiennement à des obstacles à leur participation pleine et entière à la société canadienne. Les coûts personnels, sociaux et économiques de l’exclusion sont trop élevés pour être passés sous silence. Des mesures immédiates doivent être mises en place pour lutter contre la trop grande pauvreté chez les Canadiens handicapés ainsi que contre l’accès restreint aux services de soutien pour les personnes handicapées. Ces deux problèmes perpétuent obstacles et exclusion : ils marginalisent et rendent invisibles les personnes handicapées et leurs familles.

À l’évidence, tous les Canadiens handicapés ne sont pas invisibles. Ce groupe social est néanmoins plus marginalisé que le reste de la population. Cette marginalisation des personnes handicapées revêt différentes formes : sous-représentation dans la population active et surreprésentation parmi les travailleurs non traditionnels ou les assistés sociaux. Dans le cas des programmes d’assurance sociale réservés à la population active (et même pas en totalité), comme le Régime de pensions du Canada (RPC) ou l’assurance-emploi, la protection présente des lacunes : bon nombre de travailleurs atteints d’une maladie ou d’une incapacité sont en effet exclus des programmes publics d’aide aux personnes handicapées. Ces dernières n’ont que le programme d’aide sociale des gouvernements provinciaux et territoriaux, à savoir une prestation d’invalidité. Il est donc essentiel d’améliorer les services et les programmes d’aide .1

Parmi les moins de 65 ans, 27 p. 100 des personnes handicapées ont un faible revenu alors que chez les non-handicapés, le taux n’est que de 14 p. 100. La variation du revenu des personnes handicapées s’explique par le type de soutien du revenu auquel elles ont droit. En effet, les personnes qui perçoivent des indemnités d'accident du travail ou des prestations d’assurance-invalidité sont moins susceptibles de toucher un faible revenu que les personnes vivant de leurs prestations du RPC, du RRQ, de la pension d'ancien combattant ou de l’aide sociale. Elles sont en outre plus susceptibles de vivre dans la «pauvreté chronique», à savoir gagner un faible revenu pendant plusieurs années, que les personnes qui reçoivent des indemnités d'accident du travail.

Pour améliorer la sécurité du revenu des Canadiens handicapés, on pourrait adopter les mesures à court terme suivantes : rendre remboursable le crédit d’impôt pour les personnes handicapées, augmenter à un an le versement des prestations-maladie de l’assurance-emploi au lieu des quinze semaines actuelles et mettre en place de nouvelles prestations dans le cadre du Programme de prestations d'invalidité du RPC destinées aux personnes atteintes d’une déficience épisodique et récurrente.

En ce qui concerne les mesures à long terme, les personnes handicapées et d’autres groupes sociaux exhortent le gouvernement fédéral à améliorer la sécurité du revenu des Canadiens handicapés en créant une prestation annuelle garantie, autrement dit un revenu de base.


UN REVENU DE BASE POUR LES PERSONNES ATTEINTES D’UNE DÉFICIENCE GRAVE

Le Caledon Institute of Social Policy a proposé un revenu de base et l’idée a été appuyée largement par certaines des plus éminentes organisations nationales de défense des personnes handicapées. Il s’agirait d’un programme fédéral de protection du revenu pour les personnes ayant une déficience grave, qui deviendrait leur principale forme de soutien du revenu.

La définition de l’invalidité dans le programme du revenu de base ressemblerait à celle du crédit d’impôt pour les personnes handicapées plutôt qu’à celle du Programme de prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada, qui est relativement plus compliquée.

On mettrait en œuvre le programme de revenu de base après avoir rendu remboursable le crédit d’impôt pour les personnes handicapées, que le gouvernement fédéral paierait avec les recettes générales. Un crédit d’impôt remboursable pour les personnes handicapées (CIRPH) bénéficierait aux personnes handicapées les plus pauvres, qui y sont déjà admissibles, car elles se situent sous le seuil d’imposition. On suppose qu’un CIRPH pourrait être mis en œuvre à court ou à moyen terme, contrairement au programme de revenu de base qui, lui, nécessiterait une analyse approfondie, des consultations publiques ainsi que des négociations et ententes intergouvernementales.

En tant que programme de protection du revenu, les prestations du revenu de base ne seraient pas imposables, au même titre que la pension d’ancien combattant, le crédit pour la TPS/TVH et le Supplément de revenu garanti pour les personnes âgées à faible revenu (il est à noter que la Sécurité de la vieillesse et la Prestation universelle pour la garde d'enfants sont considérées comme des sources de revenus déclarables et imposables. De plus, en vertu du régime enregistré d'épargne-invalidité [REEI], les subventions et bons canadiens pour l'épargne-invalidité ainsi que les revenus d’investissement gagnés au moyen du régime font partie de la rémunération imposable du prestataire lorsqu’ils sont versés dans le cadre du REEI).

Le revenu de base et les familles canadiennes
Le revenu de base proposé par le Caledon Institute comprend une allocation pour les personnes à charge de moins de 18 ans qui équivaudrait à la prestation maximale pour personne à charge aux termes du Programme de prestations d'invalidité du RPC. Le RPC verse des prestations mensuelles pour les enfants à la charge de leurs parents qui reçoivent des prestations d’invalidité du RPC. Pour être considéré comme personne à charge, l’enfant doit soit être âgé de moins de 18 ans, soit être âgé entre 18 et 25 ans et étudier à temps plein dans une école ou une université reconnue.
L’adulte admissible au revenu de base qui a aussi un enfant atteint d’une déficience serait admissible aux prestations pour enfants handicapés. Ces prestations sont non imposables pour les familles qui prodiguent des soins à un enfant de moins de 18 ans ayant une déficience grave et prolongée, qu’elle soit physique ou mentale.
Donc, par exemple, un parent seul qui a au moins un enfant de moins de 18 ans pourrait obtenir le CIRPH proposé, le revenu de base, la prestation pour enfants handicapés, la Prestation fiscale canadienne pour enfants ainsi que le crédit pour la TPS/TVH. On appelle parfois une combinaison de diverses prestations le «cumul des prestations» et dans ce cas-ci, la combinaison est intentionnelle et vise à aider les personnes qui vivent dans une grande pauvreté.

Le revenu de base et la participation au marché du travail

Étant donné que seules les personnes atteintes d’une déficience grave auraient droit au revenu de base, elles ne seraient probablement pas présentes de manière durable et active sur le marché du travail. Selon la proposition du Caledon Institute, si les personnes atteintes d’une déficience grave gagnaient un revenu de travail, on réduirait leur revenu de base de la moitié du revenu de travail. Même dans ces conditions, le revenu de base pourrait continuer d’être perçu comme un incitatif à occuper un emploi rémunérateur.

 

L’incidence d’un revenu de base sur les autres sources et programmes de revenu

Puisque le revenu de base est censé être un filet de sécurité de dernier ressort, tout revenu tiré d’autres prestations d’invalidité réduirait d’autant le montant des prestations. Autrement dit, ce montant serait défalqué du revenu de base du prestataire. Voici la liste des prestations qui auraient une incidence sur le revenu de base :

Les prestations d’invalidité du RRQ ou du RPC;
Les prestations-maladie de l’assurance-emploi;
Les indemnités d’accident de travail;
Les prestations d’assurance-invalidité.

D’autres sources de revenus n’auraient aucune incidence sur le montant des prestations : il s’agirait de revenus exonérés. (Un revenu exonéré est un revenu perçu par le demandeur sous une forme qui n’est pas considérée comme un revenu aux fins de son admissibilité). Voici certaines de ces sources de revenus :

Les fiducies enregistrées pour les personnes handicapées;
Les héritages;
Les cadeaux;
Les assurances-vie personnelles.

Le revenu de base et les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires

Un rôle accru du gouvernement fédéral dans la prestation d’un revenu de base pour les adultes ayant une déficience grave permettrait aux provinces et territoires de consacrer d’importantes ressources financières aux assistés sociaux et de réinvestir dans les services et mesures de soutien pour les personnes handicapées. Il serait prévu, dans une entente intergouvernementale, que l’argent ainsi dégagé serait investi dans des mesures de soutien liées aux activités quotidiennes et à la participation à l’apprentissage et à l’emploi.

Les provinces pourraient ajouter des suppléments de revenu à un ou plusieurs volets du programme de revenu de base, comme c’est le cas des prestations de revenu supplémentaires pour les personnes âgées et des prestations pour les enfants dans certaines régions du pays. On doit aussi examiner l’interaction des crédits d’impôts provinciaux en matière d’invalidité.

La formule de non-participation serait une autre option qui permettrait à une ou plusieurs provinces de gérer un programme séparé quoique comparable au programme fédéral du revenu de base.

En ce qui concerne le CIRPH, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que les provinces et territoires ne réduisent pas le montant des prestations d’aide sociale pour personnes handicapées après qu’on aurait rendu remboursable le CIPH. Puisque les provinces et territoires établissent leur propre réglementation sur le traitement des prestations sociales, une entente multilatérale, une suite d’ententes bilatérales ou une mesure unilatérale de chaque province et territoire sont d’autant de possibilités pour adopter le changement du CIPH .2


UNE RÉFORME DE L’ASSURANCE-EMPLOI (AE) ET DU PROGRAMME DE PRESTATIONS D'INVALIDITÉ DU RPC (PPIRPC)

Le système canadien de sécurité sociale souffre d’une importante lacune : l’absence d’un programme d’assurance sociale pour les travailleurs canadiens dont le travail et la rémunération ont été interrompus pour cause de maladie prolongée ou de déficience moyenne. À ce jour, l’interruption du revenu de travail et la sécurité du revenu de la famille relèvent largement de la responsabilité individuelle, et dans certains cas, des régimes d’assurance privée ou des programmes provinciaux d’aide sociale.

Il existe des solutions évidentes et prometteuses pour régler l’insécurité des prestations d’invalidité : les prestations-maladie de l’assurance-emploi et les prestations d’invalidité du RPC. Comment ces programmes fonctionnent-ils et comment sont-ils coordonnés avec les autres programmes? Comment peuvent-ils être modernisés pour offrir une protection accrue des personnes handicapées qui participent activement au marché du travail?


Les prestations-maladie de l’assurance-emploi

Pour les prestations-maladie de l’assurance-emploi, les revenus provenant de régimes d'assurance-salaire en cas de maladie, d'invalidité ou d’indemnisation des accidents de travail (pension ou paiement forfaitaire) ne sont pas pris en considération dans le calcul des prestations. Les prestations d'invalidité du RPC ne sont pas jugées comme des revenus lorsqu’on calcule les prestations de l’assurance-emploi. En fait, une personne peut faire en même temps une demande de prestations-maladie de l’assurance-emploi et une demande de prestations d’invalidité du RPC ou du RRQ. Par contre, on tient compte des congés de maladie payés, des régimes collectifs d’assurance-salaire et des indemnisations des victimes d'accidents de véhicules automobiles.

Il est possible de faire une demande de prestations-maladie de l’assurance-emploi en attendant de connaître la décision du gouvernement provincial concernant une demande d’indemnisation d’un accident de travail, mais, en de telles circonstances, il faut signer une entente de remboursement des prestations-maladie si la demande est approuvée. Qui plus est, si une personne reçoit de l’aide sociale d’une province ou d’un territoire en attendant de recevoir des prestations de l’assurance-emploi, elle devra peut-être rembourser cette aide avec ses prestations d’assurance-emploi .3 En revanche, les régimes des employeurs qui offrent des indemnités complémentaires aux prestations-maladie de l’assurance-emploi pendant la période de chômage pour cause de maladie, blessure ou mise en quarantaine, n’ont pas d’incidence sur les prestations d’assurance-emploi des employés.

La durée moyenne du versement des prestations-maladie de l’assurance-emploi est de 9 semaines, quoique près de 30 p. 100 des bénéficiaires en perçoivent pendant les 15 semaines. Après le dernier versement, si une personne ne peut pas reprendre son ancien emploi, elle peut faire une demande d’assurance-emploi et recevra probablement une combinaison de prestations pendant 50 semaines (soit 15 semaines de prestations-maladie et 35 semaines de prestations ordinaires). Inversement, un bénéficiaire de prestations ordinaires qui tombe malade peut demander et recevoir des prestations-maladie.

Les prestations d'invalidité du RPC

L’existence (réelle ou supposée) des autres programmes privés ou publics détermine plusieurs éléments de la prestation d’invalidité du RPC, notamment le taux de remplacement du revenu d’un montant minimal raisonnable, ainsi que les prestations additionnelles qui proviennent d’autres sources; les trois mois d’attente; être l’agent-payeur principal; et le fait qu’une partie ou la totalité des prestations d’invalidité du RPC est complétée par des prestations d’autres programmes. Par exemple, le Supplément de revenu garanti, l’allocation au conjoint et l’allocation au survivant, l’allocation aux anciens combattants et les prestations d’aide sociale des provinces et territoires sont tous pris en compte lors du calcul des prestations d’invalidité du RPC.

Il existe des distinctions importantes entre les prestations d’invalidité du RPC et celles des provinces et territoires. Contrairement aux programmes provinciaux, les prestations d’invalidité du RPC ne sont pas établies en fonction des actifs : il n’existe aucune limite des actifs qu’une personne peut posséder. Si une personne reçoit un revenu d’une autre source (à l’exception d’un certain niveau de revenu de travail), cela ne l’empêchera pas de percevoir des prestations d’invalidité du RPC. Également à l’opposé des programmes provinciaux, si un bénéficiaire de prestations d’invalidité du RPC devient le conjoint d’une autre personne bénéficiaire, par exemple en se mariant ou en se déclarant conjoint de fait, leurs prestations demeurent inchangées. Les prestations d’invalidité du RPC sont transférables d'un bout à l'autre du Canada alors que ce n’est pas le cas des prestations d’aide sociale d’une province. Elles sont indexées et imposables tandis que les prestations d’aide sociale des provinces et territoires ne le sont pas. Ces dernières sont financées grâce aux impôts des contribuables alors que le PPIRPC provient des retenues salariales et des cotisations des employeurs. Étant donné que le système des prestations du RPC repose sur la technique de l’assurance sociale, on estime avoir «mérité le droit» de recevoir des prestations et on ne ressent donc pas le même malaise associé aux programmes d’aide sociale des provinces.

Dans le cadre du RPC, il existe des incidences et des défalcations selon les différents types de prestations. Une personne admissible aux prestations d’invalidité du RPC et aux allocations au survivant peut recevoir un versement combiné des deux types de prestations, quoique le montant total du versement sera modifié en fonction de l’âge du survivant et des autres prestations perçues. Quant aux travailleurs assurés de 60 à 65 ans, qui reçoivent des prestations d’invalidité du RPC, ils ne sont pas admissibles aux pensions de retraite du RPC en même temps.


Prolonger la durée des prestations-maladie de l’assurance-emploi

Une nouveauté pourrait s’ajouter au programme des prestations-maladie de l’assurance-emploi : la prestation à moyen terme, qui pourrait s’échelonner sur au moins 26 semaines, comme le font déjà certains pays, ou même sur 35 semaines, à l’instar du programme canadien des prestations parentales de l’assurance-emploi, ou encore sur 45 ou 50 semaines. Grâce à cette réforme, on prolongerait la durée maximale des prestations-maladie de 11 à 20 semaines.

On peut prolonger la durée maximale des prestations-maladie, disons à 50 semaines, de deux manières différentes : donner des prestations pendant 50 semaines consécutives ou permettre aux personnes d’être admissibles aux prestations-maladie pendant 50 semaines non consécutives sur une certaine période, comme deux ans, et leur permettre de recevoir des prestations durant les semaines restantes de la période précisée jusqu’à épuisement du montant total des prestations.

Le but de cette nouveauté consiste à offrir une protection du revenu souple, qui soit axée sur le bénéficiaire et qui facilite les liens avec les services d’emploi et de réadaptation. Pour ce faire, il s’agit, entre autres, de faire passer régulièrement des entrevues aux bénéficiaires ou de leur offrir des séances de planification de carrière afin de passer en revue leur expérience professionnelle, leurs projets et leur situation personnelle.
 

Les critères d’admissibilité seraient d’abord d’avoir accumulé 600 heures d’emploi assurables dans les 52 dernières semaines pour avoir droit aux 15 premières semaines (condition d’admissibilité inchangée), et ensuite, soit de n’occuper aucun autre emploi pendant les semaines additionnelles en vertu du nouveau mode de prestation, soit d’avoir enregistré d’autres heures d’emploi assurables au cours, disons, des 78 dernières semaines. Une telle structure d’admissibilité en deux temps pourrait se doubler d’une structure de prestations en deux temps .4

Cette option relève clairement du gouvernement fédéral et, du point de vue juridique, ne nécessite pas de négociations et d’ententes intergouvernementales comme pour le PPIRPC. Évidemment, on aviserait sûrement les provinces et territoires du choix de cette option, et on tiendrait des consultations à ce sujet. Ce type de réforme serait un bon moyen d’utiliser l’assurance-emploi dans une optique de politique sociale. La création d’une nouvelle prestation dans le cadre de l’assurance-emploi situerait la réforme au sein du ministère responsable du marché du travail et du développement des compétences, ce qui garantit une attention aux services d’emploi et de retour au travail.


Ajout de prestations partielles au Programme de prestations d'invalidité du RPC

Offrir des prestations pour des déficiences partielles dans le cadre du Programme de prestations du RPC modifie le fondement même de la législation et du programme du RPC. Cette modification s’écarte du «tout ou rien» caractéristique de ce programme, et s’inscrit plutôt dans une approche fonctionnelle dont l’admissibilité serait déterminée en fonction des facteurs socioéconomiques du demandeur, de sa situation personnelle et de sa capacité à continuer à participer au marché du travail. La nouvelle catégorie de déficiences moyennes engloberait les déficiences importantes et cycliques ou récurrentes qui ne sont pas continues ni prolongées.

À l’évidence, plusieurs questions clés surgissent : Qu’est-ce qu’une «déficience partielle»? Qui établira cette définition? Prend-on en compte des facteurs non médicaux, tels que l’âge, la scolarité, l’expérience professionnelle, les conditions du marché du travail à l’échelle locale ou régionale? Quel sera le rôle des services d’emploi et de réadaptation professionnelle?

Contrairement aux régimes publics d’assurance-invalidité du Canada, du Québec et des États-Unis qui ne couvrent pas les déficiences partielles, bon nombre de systèmes européens, dont ceux de la France et de l’Allemagne, le font, et selon eux, une déficience partielle correspond généralement à environ 50 ou 60 p. 100 de la capacité de travail, ce qui constitue une capacité partielle, mais importante pour gagner sa vie grâce à un travail rémunéré. Selon une certaine approche, on pourrait accorder des prestations partielles sur une période limitée, comme un maximum de 52 semaines qui pourrait s’étendre sur deux ans. Après la période déterminée, on devrait réévaluer le bénéficiaire et déterminer s’il est admissible aux prestations complètes d’invalidité du RPC d’après des critères plus stricts.

On pourrait repenser la formule du RPC de sorte que les prestations partielles d’invalidité soient calculées au prorata de la perte de capacité de travail du demandeur. La solution serait peut-être de modifier le plafond actuel de 30 p. 100 assurés du revenu annuel moyen à 60 p. 100 du revenu perdu du demandeur assuré. Ceci représenterait 60 p. 100 de 30 p. 100 et donc un taux de remplacement de 18 p. 100 du revenu moyen. En 2005, la prestation mensuelle se serait élevée en moyenne à environ 475 dollars. On pourrait faire des prévisions des coûts en fonction des cotisations pendant «quatre des six dernières années», en fonction de «la moyenne de toutes les années» ou encore en fonction des «cinq meilleures années» afin de déterminer le niveau des prestations. Le but des deux dernières approches est d’éliminer les fluctuations et les interruptions de la rémunération dues à de problèmes de santé ou des maladies chroniques récurrents et cycliques. Une disposition «d’exclusion» pourrait constituer un autre moyen de régler la question des périodes peu ou pas rémunérées.

Un autre principe sous-tend ces diverses possibilités d’instauration d’un revenu de base, de prestations-maladie dans le cadre de l’assurance-emploi et de prestations d’invalidité du RPC: que demeurent en place les programmes de soutien du revenu pour les personnes handicapées déjà existants, tels que les prestations aux anciens combattants, certaines mesures fiscales, les indemnisations pour les accidentés du travail, l’aide sociale ainsi que les régimes d’assurance automobile provinciaux et les régimes privés d'assurance-salaire en cas d'invalidité de longue durée.


D’AUTRES RÉFORMES DE POLITIQUES

Mises à part les réformes de la sécurité du revenu expliquées ci-dessus, un certain nombre d’autres remaniements qui entraîneraient moins de dépenses méritent d’être examinées car elles s’inscrivent dans une vision et un programme renouvelés du gouvernement fédéral visant à favoriser la participation sociale des citoyens handicapés.


Ratifier la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées

Cette récente convention des Nations Unies a pour objet «de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque». Le Canada a signé cette convention, mais il ne l’a toujours par ratifiée. Rien ne justifie ce retard. Il est temps que le Canada se joigne aux 70 autres pays qui ont ratifié cette importante convention sur les droits de la personne.

 

Rétablir le Programme de contestation judiciaire

La popularité, puis la chute, le rétablissement et l’annulation une fois encore du Programme de contestation judiciaire montrent à quel point les droits des citoyens sont victimes des caprices du gouvernement fédéral. Pendant près de vingt-cinq ans, le Programme de contestation judiciaire a alloué des ressources aux groupes de défense des personnes handicapées, pour leur permettre de mieux intervenir dans les grandes causes qui touchaient aux droits à l’égalité et aux préoccupations constitutionnelles liées à la relation entre les citoyens et l’État et entre la Charte des droits et libertés et les pouvoirs publics.

Les personnes handicapées et leurs groupes de défense se sont beaucoup servi du Programme pour accroître leur influence sur les politiques publiques et la politique du gouvernement et pour concrétiser leurs droits dans une société caractérisée par des barrières systémiques et une culture ambivalente entachée de préjugés et d’orgueil. Il semble évident que le gouvernement fédéral et le Parlement devraient rétablir ce Programme.


Adopter une loi fédérale sur l’invalidité

Un groupe de travail fédéral sur les questions relatives aux personnes handicapées, créé en 1996, a pressé le gouvernement à adopter un ensemble de lois en faveur des personnes handicapées. Par ailleurs, le Québec et l’Ontario ont des lois de portée générale sur l’accessibilité pour les personnes handicapées. Étant donné les limites inhérentes aux lois sur les droits de la personne et l’exemple qu’ont donné l’Ontario, le Québec et d’autres pays dans ce domaine, le gouvernement fédéral se doit d’adopter une loi visant les personnes handicapées, surtout que celles-ci continuent au Canada de vivre l’exclusion, la pauvreté et les préjugés. Ce type de mesure cadre avec les pratiques du Canada, qui adopte des politiques axées sur les groupes sociaux particuliers tels que les Autochtones, les anciens combattants, les communautés d’une langue officielle, les femmes, les personnes âgées et les membres des minorités visibles.

Si elle est bien conçue et rédigée en collaboration étroite avec les groupes de défense des personnes handicapées d’un peu partout au pays, une mesure législative sur l’invalidité pourrait contribuer modestement à faire avancer les dossiers de l’accessibilité et de la pauvreté pour les personnes concernées.

Pour qu’elle soit efficace et acceptable aux yeux des personnes handicapées, une loi sur l’invalidité nécessite un ensemble d’outils stratégiques et de structures organisationnelles. Elle devrait prévoir entre autres : un ministre responsable des questions liées à l’invalidité, investi de pouvoirs et d’obligations précis; un commissaire à l’intégration et à l’invalidité; un agent indépendant tenu de soumettre un rapport annuel au Parlement sur les réalisations des organes publics fédéraux en matière de conformité aux normes et aux politiques sur l’invalidité; un centre chargé de l’accessibilité, de sorte que le gouvernement fédéral pourrait élaborer et promouvoir des normes de conception universelle en matière d’installations, de services et de technologies et un centre de politiques d’intégration complet au sein de la Commission canadienne des droits de la personne dont le but serait de fournir des conseils sur l’élimination et la prévention des barrières systémiques.

Une loi fédérale pourrait viser les télécommunications, les transports internationaux et interprovinciaux, la radiodiffusion, le système bancaire, la justice, l’immigration, les Premières Nations, l’emploi au sein de la fonction publique fédérale et les secteurs sous réglementation fédérale (environ 10 p. 100 du marché du travail au Canada) et divers programmes, services, institutions et mesures fiscales du gouvernement fédéral. Elle n’est pas une fin en soi, mais elle marquerait le début d’un leadership fédéral relativement à un train de mesures plus vastes en faveur des personnes handicapées.

Selon les dispositions législatives et les systèmes de mise en vigueur adoptés, une loi fédérale sur l’invalidité serait un complément de poids dans un répertoire de politiques visant à lever les barrières, éliminer les préjugés envers l’invalidité et favoriser la responsabilisation des pouvoirs publics en matière d’accessibilité et d’intégration sociale. Elle ne pourra sûrement pas régler les problèmes de pauvreté, d’analphabétisme et de manque de services de soutien personnel, qui relèvent principalement des provinces et pour lesquels il est essentiel de créer un esprit de coopération intergouvernementale pour faire avancer l’intégration et l’égalité. En même temps, une loi nationale pourrait favoriser la promotion d’activités de responsabilité fédérale comme les télécommunications, l’égalité en matière d’emploi et les droits de la personne.


Accroître l’accès à la formation, aux études et à la participation au marché du travail

J’aimerais proposer brièvement deux mesures. D’abord, il faut établir des objectifs précis en ce qui concerne les personnes handicapées lors de l’élaboration d’ententes relatives au marché du travail entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires et, ensuite, il faut accroître le financement des programmes fédéraux qui soutiennent les idées novatrices des conseils d’entreprises, des employeurs, des syndicats, des associations professionnelles et commerciales connexes qui font la promotion de l’intégration des personnes handicapées au marché du travail.


Accorder une place centrale aux questions liées à l’invalidité dans la politique fédérale et le travail administratif

Accorder une place centrale à l’invalidité dans l’administration et la politique publique, suppose l’adoption d’autres réformes à la lumière de statistiques nationales et d’un indice sur l’intégration, des études d’impact sous l’angle de l’intégration et de l’invalidité et des énoncés budgétaires qui illustrent la détermination à améliorer le sort des personnes handicapées et tiennent compte de leurs répercussions sur les personnes handicapées et leur famille et des conditions socioéconomiques améliorées.

Citons un exemple : les rapports des pouvoirs publics sur l’invalidité comme Vers l’intégration – rapport au Parlement du gouvernement du Canada sur les mesures prises à ce sujet – doivent aller au-delà du simple inventaire des programmes existants. Ils pourraient devenir des documents de reddition de comptes s’ils comprenaient des évaluations des résultats par rapport aux objectifs au fil des ans, et s’ils sollicitaient des porte-parole du milieu des personnes handicapées sur d’éventuelles initiatives ou réformes aux programmes et services de soutien en place par l’entremise de consultations en ligne, de tables rondes et d’autres moyens d’échanges.


Évaluer l’évolution du programme fédéral

Aux fins d’une reddition de comptes à l’égard de ce programme, il est essentiel d’établir des objectifs quantitatifs qui permettent de mesurer les résultats et d’encourager la réussite. D’ici cinq à dix ans, le but est de réduire de moitié l'écart de revenu annuel entre les personnes handicapées et le reste de la population, de réduire de moitié le taux de pauvreté des adultes handicapés (de 15 p. 100 pour les personnes handicapées en âge de travailler), de réduire de moitié les coûts non remboursés des personnes handicapées et de réduire de moitié l'écart de taux d'activité sur le marché du travail entre les personnes handicapées et le reste de la population active, ce qui signifie que le taux d’emploi des personnes handicapées passerait de 44 p. 100 en moyenne à 61 p. 100. Voilà les critères qui permettront d’établir si le train de mesures en matière d’invalidité aura porté fruit au cours des dix prochaines années.
 

 

1.Michael J. Prince, Absent Citizens: Disability Politics and Policy in Canada, Toronto : University of Toronto Press, 2009.
2.On peut citer en exemple la Colombie-Britannique qui offre depuis peu des suppléments provinciaux et qui a adopté la réforme du régime fédéral pour le soutien du revenu pour les personnes handicapées, le régime enregistré d'épargne-invalidité (REEI). Le gouvernement de cette province a fait un versement unique de 5 millions de dollars à un fonds de dotation géré par une fondation provinciale qui vise à améliorer l’avenir financier des personnes handicapées à faible revenu qui habitent en Colombie-Britannique. Lorsque les assistés sociaux qui ont une déficience, la clientèle cible de la fondation, commenceront à contribuer à un REEI et à y verser au moins 25 dollars, la fondation y versera 150 dollars qui proviendront du fonds de dotation provincial. Le gouvernement de la Colombie-Britannique s’attend à ce que près de 30 000 assistés sociaux commencent à cotiser à un REEI grâce à cette mesure. En outre, il a déclaré non imposables les actifs et retraits d’un REEI, ce qui signifie que ceux-ci n’auront aucune incidence sur les prestations sociales des personnes clientes. Cette mesure provinciale entrera en vigueur à l’automne de 2009.
3.Des études du gouvernement fédéral montrent que seule une petite partie des personnes qui perçoivent la totalité des prestations ordinaires de l’assurance-emploi font une demande d’aide sociale dans l’année, et que la réforme de l’assurance-chômage de 1996 n’a à peu près rien changé au taux de demandes d’aide sociale, du moins jusqu’à la dernière récession ait commencé au Canada en 2008.
4.Des taux variables pour les prestations-maladie sont pratique courante dans un certain nombre de pays, dont la France, l’Allemagne et l’Italie.