Lutte à la pauvreté et à l'exclusion au Québec: un bilan d'ensemble mitigé, y compris pour les personnes handicapées

François Aubry
Février 2012

Présentation

Le 13 décembre 2002, le gouvernement du Québec instituait, dans le cadre d'une loi majeure adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, soit la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale (Loi 112), une Stratégie de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.

Cette loi, qui fait de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale une priorité explicite du gouvernement du Québec, constitue la première législation du genre en Amérique du Nord. Elle introduit une Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, laquelle comporte « un ensemble d'actions mises en œuvre par le gouvernement, ses partenaires socio-économiques, les collectivités régionales et locales, les organismes communautaires et les autres acteurs de la société afin de contrer la pauvreté et de favoriser l'inclusion sociale » (Gouvernement du Québec 2002:1). La loi a donné lieu à la mise en place de plans d'action quinquennaux contenant une série de mesures visant à en atteindre la finalité, soit d'amener progressivement le Québec au rang des nations industrialisées comptant le moins de personnes pauvres d'ici 2013 (article 4 de la loi).

Dans un texte précédent (Aubry, 2010), nous avons décrit la mobilisation populaire qui a précédé et engendré l'adoption de cette loi. Nous avons aussi examiné les grandes caractéristiques de la loi 112 ainsi que les principales mesures mises en place dans le cadre du premier Plan d'action quinquennal, ceci en accordant une attention particulière aux mesures destinées aux personnes handicapées.

Bien qu'il soit beaucoup trop tôt pour porter un jugement définitif sur le succès de la Stratégie québécoise de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, nous tenterons dans le présent texte d'évaluer le chemin parcouru depuis l'adoption de la loi en ce qui concerne l'évolution de la pauvreté ainsi que des inégalités dans la distribution des revenus au Québec. Notre texte est divisé en trois parties. Dans un premier temps, nous étudierons les données sur l'évolution de la pauvreté au Québec, dans les autres provinces canadiennes et dans les principaux pays industrialisés. Ensuite, nous examinerons quelques données générales sur l'évolution des inégalités dans la distribution des revenus au Québec, dans les autres provinces et dans les principaux pays industrialisés. Enfin, dans une troisième partie, nous nous pencherons plus spécifiquement sur l'évolution de la pauvreté chez les personnes qui souffrent d'une incapacité.

Considérations méthodologiques: une mission hasardeuse

Toute tentative d'évaluer aujourd'hui le succès de la Loi 112, dont l'objectif est d'amener progressivement le Québec au rang des nations industrialisées comptant le moins de personnes pauvres d'ici 2013, est un exercice périlleux parce qu'il fait face à plusieurs contraintes.

D'abord, la pauvreté et l'exclusion sociale sont des « réalités complexes et multidimensionnelles » (Noël, 2011) qui ne peuvent être appréhendées uniquement à l'aide de quelques indicateurs de nature financière (taux de pauvreté, coefficient de GINI) comme le suggère bien la définition de la pauvreté retenue par le législateur dans la Loi 112. En effet, la pauvreté y est définie comme « la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société » (Gouvernement du Québec, 2002).

Ensuite, l'atteinte de l'objectif de 2013 ne dépend pas uniquement de l'évolution de la situation québécoise mais aussi de celle des autres sociétés industrialisées. Comme le souligne Noël (2011) « l'objectif de 2013 constitue donc une cible mouvante qui demande de poser un regard adéquat autant sur les autres que sur nous-mêmes ». Or, les données internationales comparatives sont peu nombreuses et ne sont disponibles qu'avec plusieurs années de retard. Les données pour l'année 2013 ne seront disponibles qu'en 2015 ou 2016. On pourra alors y faire un bilan plus définitif.

Enfin, il faut être prudent quant à la contribution des politiques gouvernementales dans la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. En effet, l'évolution de la pauvreté dans toute société ne dépend pas uniquement des politiques publiques dans les sphères économique et sociale; elle est aussi tributaire des cycles économiques de croissance, de ralentissement et de contraction de l'économie sur lesquels les pouvoirs publics d'un seul État ont de moins en moins d'influence, particulièrement depuis l'accélération de la mondialisation et de l'internationalisation des transactions financières.

Ainsi, la diminution importante du taux de chômage au Québec depuis le début des années 2000 a évidemment contribué à la diminution de la pauvreté alors que la crise financière de 2008 et la récession qu'elle a engendrée ont contribué à son augmentation.

Ceci étant dit, sans pouvoir nous prononcer définitivement sur le succès ou l'échec de la stratégie québécoise de lutte contre la pauvreté, nous avons suffisamment d'informations pour au moins déterminer si le Québec évolue dans la bonne direction depuis l'adoption de la Loi 112 en regard des objectifs explicites de celle-ci.

Partie 1.
Évolution de la pauvreté

Il existe plusieurs séries statistiques sur l'évolution de la pauvreté au Québec et au Canada. Les trois mesures les plus utilisées sont le Seuil de faible revenu (SFR) avant et après impôt et la Mesure du faible revenu (MFR) avant et après impôt de Statistique Canada[1] et la Mesure du panier de consommation (MPC) développée par Ressources humaines Canada à la fin des années 1990 et publiée chaque année par Statistique Canada depuis l'an 2000.

Les seuils de faible revenu de Statistique Canada considèrent qu'une personne est à faible revenu si elle dépense 20 % de plus pour les biens dits essentiels (logement, vêtement et nourriture) que la personne dont les revenus sont égaux à la moyenne canadienne. L'utilisation de ces seuils pour faire des comparaisons interprovinciales sous-estiment le taux de faible revenu dans les provinces à haut revenu (Ontario, Alberta par exemple) et le surestiment dans les provinces à revenu moyen plus faible (Québec, Nouveau-Brunswick par exemple) (Lanctôt et Fréchet, 2002). Des seuils ajustés à la réalité de chaque province sont publiés mais seulement sporadiquement.

La Mesure de faible revenu correspond à la moitié de la médiane du revenu (après ou avant impôt) des unités familiales[2]. Il s'agit d'une mesure relative qui tient compte de la richesse de chaque pays. Pour des comparaisons interprovinciales cependant, cet indicateur n'est pas très précis car il utilise le revenu médian de l'ensemble du Canada et non de chaque province. Ainsi, le taux de pauvreté d'une province telle le Québec, dont le revenu médian est inférieur au revenu médian canadien, sera surévalué alors que le taux d'une province telle l'Ontario, dont le revenu médian est supérieur à la médiane canadienne, sera sous-évalué. L'Institut de la statistique du Québec publie annuellement des données sur la Mesure de faible revenu ajustées pour le Québec en utilisant la médiane québécoise des revenus.

Lorsque l'on veut comparer la situation des provinces canadiennes, la Mesure du panier de consommation est plus utile car elle tient compte de la richesse de chaque province. Il s'agit d'un seuil de pauvreté absolu en ce sens qu'il nous indique pour chaque province le montant de revenu nécessaire pour se procurer un ensemble de biens et de services essentiels à la vie en tenant compte du niveau des prix dans chacune des provinces. La faiblesse de cet indicateur tient au fait qu'il exclut un certain nombre de besoins qui vont au-delà de la simple survie, mais qui sont essentiels à la participation à la vie sociale. Enfin, la MPC ne peut pas être utilisé pour des comparaisons internationales car cet indicateur n'existe qu'au Canada.

Aucun de ces indices n'est parfait, chacun a ses avantages et ses désavantages et l'utilisation de l'un ou de l'autre dépendra des objectifs de recherche. Lorsque l'on veut comparer la situation entre provinces, la Mesure du panier de consommation est plus utile alors que, pour des comparaisons internationales, la Mesure du faible revenu après impôt est plus utile, cet indicateur étant utilisé par les organismes internationaux.

Taux de pauvreté au Québec

Nous présenterons d'abord l'évolution du taux de pauvreté au Québec selon la MPC pour les individus selon différents types de ménages de 2000 à 2008. Nous exposerons ensuite l'évolution de cet indicateur pour l'ensemble des provinces canadiennes pour la même période. Enfin, nous utiliserons la Mesure du faible revenu après impôt afin de comparer l'évolution de la situation au Canada et au Québec à celle des autres pays industrialisés.

Le Tableau 1 présente l'évolution du taux de pauvreté au Québec de 2000 à 2008 selon la méthode de la Mesure du panier de consommation pour l'ensemble des particuliers.

Tableau 1. Taux de faible revenu, MPC, caractéristiques des particuliers de tous âges, Québec, 2000-2008
  2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
  %
Tous les particuliers 11,6 11,5 10,3 9,2 8,4 8,9 9,0 8,2 9,5
Sexe  
Femmes 10,5 10,6 9,4 8,9 8,5 8,8 9,0 8,1 9,3
Women 12,7 12,3 11,1 9,6 8,2 9,0 9,1 8,2 9,7
 
Types de familles  
Personnes seules 25,4 25,9 21,8 21,5 22,1 24,6 23,4 22,7 22,8
Personnes en famille 9,1 8,8 8,1 6,8 5,6 5,7 6,0 5,0 6,6
Couples sans enfants 6,0 6,6 6,9 6,0 5,0 5,3 5,2 5,3 5,1
Couples avec enfants 6,7 8,1 5,6 4,5 3,6 4,7 4,4 3,1 6,3
Familles monoparentales 31,8 26,6 25,6 23,9 21,3 18,1 20,3 16,5 19,8
 
Enfants (0-17 ans) 13,7 13,2 10,7 8,8 7,5 7,5 7,3 5,8 9,2
 
Adultes (18 ans et plus) 11,0 11,0 10,2 9,4 8,6 9,3 9,5 8,7 9,6
18-64 ans 12,7 12,7 11,6 10,8 10,0 10,8 11,0 10,1 11,3
65 ans et plus 1,8 1,9 2,3 1,7 1,5 1,5 1,6 2,0 1,9

Source: Statistique Canada, Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (2000-2008). Compilation: Institut de la statistique du Québec.

À l'examen de ce tableau, on peut faire les constats suivants:

  • La tendance générale est une diminution progressive du taux de pauvreté tout au long de la période, à l'exception de l'année 2008, caractérisée par une grave crise financière et une récession;
  • Le taux de pauvreté des femmes a connu une diminution plus rapide que celui des hommes au cours de la période;
  • Parmi l'ensemble des ménages, c'est chez les personnes qui vivent en famille que l'incidence de la pauvreté a diminué le plus, passant de 9,1 % en 2000 à 5 % en 2007, pour remonter ensuite à 6,6 % en 2008;
  • Bien que le taux de pauvreté ait diminué de moitié environ chez les familles monoparentales, passant de 31,8 % en 2000 à 16,5 % en 2007, pour remonter à 19,8 % en 2008, l'incidence de la pauvreté demeure très élevée pour ces familles, particulièrement celles dirigées par une femme;
  • Ce sont les personnes seules, en particulier celles qui ne détiennent pas d'emploi, qui ont été laissées pour compte au cours de la période puisqu'elles souffrent d'un taux de pauvreté très élevé. Bien que le Tableau 1 ne distingue pas les personnes seules en emploi de celles qui sont sans emploi, ce sont ces dernières qui ont connu une hausse de leur taux de pauvreté pendant cette période (CEPE, 2008);
  • Chez les personnes âgées, le taux de pauvreté a peu changé au cours de la période se maintenant à un niveau relativement faible. Ces données cachent cependant des différences importantes entre les hommes et les femmes âgées de 65 ans et plus, ces dernières présentant une incidence de pauvreté de beaucoup supérieure à celle des hommes.

Les tendances notées plus haut reflètent bien les objectifs du premier Plan d'action gouvernemental qui étaient d'améliorer en priorité le sort des familles, en particulier celles avec enfants (prestations pour enfants, services de garde à faible coût, congé parental, etc.) ainsi que les personnes à faible revenu qui détiennent un emploi (prime au travail, hausse du salaire minimum, Pacte pour l'emploi, etc.).

Le Québec dans le Canada

Dans cette section, nous comparons l'évolution du taux de pauvreté du Québec avec celui des autres provinces et du Canada pour la période de 2000 à 2008. Le Tableau 2 présente l'évolution du taux de faible revenu selon la MPC pour chaque province et pour l'ensemble du Canada. Il présente aussi le changement en pourcentage de 2000 à 2007, l'année 2008 ayant été ignorée à cause des effets important de la récession sur la tendance générale.

Tableau 2. Taux de faible revenu, MPC, ensemble des particuliers de tous âges, les provinces et le Canada, 2000-2008
  2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2000-2007
  %
Provinces  
Terre-Neuve-et-Labrador 20,5 17,1 17,8 15,6 17,0 14,2 14,6 11,1 12,7 -45,9
Île-du-Prince-Édouard 14,6 14,3 12,8 11,0 10,3 10,2 11,6 9,1 10,0 -37,7
Nouvelle-Écosse 14,2 14,3 14,2 14,4 12,6 11,8 11,0 12,0 12,5 -15,3
Nouveau-Brunswick 13,7 12,9 13,9 13,3 12,6 13,1 14,0 12,4 11,5 -9,9
Québec 11,6 11,5 10,3 9,2 8,4 8,9 9,0 8,2 9,5 -29,3
Ontario 9,9 9,2 9,7 9,5 10,5 10,1 10,0 8,7 9,4 -12,1
Manitoba 10,8 10,0 10,3 9,7 9,7 10,1 9,1 8,2 7,8 -24,1
Saskatchewan 13,2 11,9 10,8 11,2 12,2 12,5 12,7 10,4 9,1 -21,1
Alberta 11,0 9,9 8,6 10,5 10,1 8,1 6,8 6,6 5,9 -39,9
Colombie-Britannique 16,8 14,7 15,7 14,8 13,8 12,8 12,3 10,4 11,5 -38,3
Ensemble du Canada 11,9 11,0 10,9 10,6 10,6 10,2 10,0 8,8 9,5 -25,8

Source: Statistique Canada, Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (2000-2008). Compilation: Institut de la statistique du Québec.

On peut dégager quelques constatations de ce tableau:

  • Toutes les provinces ont connu une diminution importante de la pauvreté au cours de la période de 2000 à 2007, mais ce sont les quatre provinces aux extrémités du pays (Terre-Neuve-et-Labrador et l'Île-du-Prince-Édouard à l'est, l'Alberta et la Colombie–Britannique à l'ouest) qui ont connu la plus forte diminution. La situation du Québec est mitoyenne, avec une diminution de 29,3 % au cours de ces sept années;
  • En ce qui concerne l'incidence de la pauvreté, avec un taux de 8,2 % en 2007, le Québec est ex¬ æquo avec le Manitoba et n'est dépassé que par l'Alberta, qui présente un taux de 6,6 %;
  • Le Québec, ainsi que l'Ontario, le Manitoba et l'Alberta, jouissent d'un taux de pauvreté inférieur à celui de l'ensemble du Canada, lequel est de 8,8 % en incluant le Québec. Si on exclut le Québec de ces données, le taux de pauvreté de l'ensemble du Canada s'élève à 9,0 %.

Dans cette section, nous avons utilisé la Mesure du panier de consommation qui indique l'incidence de la pauvreté, c'est-à-dire la proportion de la population ayant des revenus inférieurs à des seuils préétablis. Cependant, cet indicateur ne mesure ni la profondeur de la pauvreté (on peut être un peu sous le seuil ou beaucoup sous le seuil), ni la répartition de cette profondeur parmi les différentes catégories de personnes pauvres.

Or, pour analyser cette profondeur, des indices ont été développés à partir des données tirées de la Mesure du faible revenu. Ici, nous en utiliserons deux: l'Indice de déficit normalisé, qui indique l'incidence et la profondeur de la pauvreté, et l'Indice de sévérité, qui mesure à la fois l'incidence et la profondeur de la pauvreté ainsi que la distribution de cette profondeur. Ceux-ci donnent un portrait beaucoup plus complet du phénomène de la pauvreté dans une société. Une équipe de recherche (Brochu, Makdissi et Toahan, 2011) a calculé ces indices à partir de la Mesure du faible revenu de Statistique Canada[3] pour chaque province et les a utilisés afin d'évaluer la performance du Québec et des autres provinces pour la période de 1996 à 2006. Il n'est pas possible dans le cadre de ce travail de présenter l'ensemble des résultats. On peut en résumer les principaux ainsi:

  • Pauvreté extrême: en 1996, le Nouveau-Brunswick est la province avec le moins de pauvreté extrême, suivi de très près par le Québec. En 2006, l'extrême pauvreté diminue dans toutes les provinces et le Québec prend le premier rang suivi de près par l'Alberta;
  • Profondeur de la pauvreté: en 1996, le Nouveau-Brunswick est la province où l'indice de profondeur est le moins élevé, suivi encore par le Québec. En 2006, l'Alberta jouit de l'indice le plus faible suivi du Québec;
  • Sévérité de la pauvreté: en 1996, Terre-Neuve, l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick obtiennent des meilleurs scores que le Québec. En 2006, seule l'île du Prince Édouard a toujours un meilleur résultat que le Québec.

Compte tenu de ce qui précède, on peut conclure que le Québec a fait des progrès importants sur le plan de la réduction de la pauvreté au cours des années 2000. Cependant ces gains sont très inégaux et laissent de côté des pans importants de la population (les personnes seules en particulier). Pour d'autres groupes, telles les familles avec enfants, les gains ont été considérables. Par rapport aux autres provinces, le Québec semble donc bien tirer son épingle du jeu.

Mais qu'en est-il de la position du Canada par rapport aux autres pays industrialisés regroupés au sein de l'OCDE? Si le Québec fait mieux que le Canada et que le Canada améliore sa position par rapport aux autres pays de l'OCDE, on pourra conclure que le Québec est sur la bonne voie de réaliser l'objectif d'amener progressivement le Québec au rang des nations industrialisées comptant le moins de personnes pauvres d'ici 2013.

Le Canada et le Québec dans le monde

Pour mesurer la pauvreté au niveau international, l'OCDE utilise l'indice de la Mesure du faible revenu défini comme étant la moitié du revenu médian après impôt dans chaque pays.

Au milieu des années 2000, avec un taux de pauvreté de 11,7 %, le Canada se classait 19e sur 30 pays quant au taux de pauvreté. La moyenne des pays de l'OCDE s'élevait alors à 10,6 %. Aux extrémités, on retrouvait le Mexique, avec un taux de 18,4 %, et le Danemark et la Suède avec un taux de 5,3 %. Quant au Québec, en 2005, le taux de pauvreté s'élevait à 9,6 %, ce qui le plaçait à plus de 2 % sous le seuil canadien et à 1 % sous la moyenne des pays de l'OCDE.

Partie 2
L'Évolution des inégalités

Il existe un lien entre l'incidence de la pauvreté dans une société et l'inégalité relative dans la distribution des revenus. On dispose de plusieurs techniques pour mesurer ce degré d'inégalité. Ainsi, on peut calculer la part des revenus de chaque tranche de la population divisée en centiles, déciles ou quintiles et mesurer son évolution dans le temps. Une autre technique est de calculer divers coefficients que l'on a nommé coefficients de GINI. Ces indices sont calculés à partir d'une échelle de 0 à 1. Un coefficient 0 indique que les revenus sont également répartis dans la société, c'est-à-dire qu'ils sont identiques pour tous les membres de la société (égalité absolue). Un indice 1 indique que tous les revenus de la société sont accaparés par une seule personne (inégalité absolue). Donc, plus un indice se rapproche de 0, plus la distribution des revenus est égalitaire, et plus il se rapproche de 1, plus la distribution des revenus est inégalitaire.

Le coefficient de GINI est complémentaire aux divers indices de pauvreté et peut nous informer sur l'efficacité des stratégies de réduction des inégalités économiques. Le coefficient de GINI peut être calculé pour divers types de ménages ou pour l'ensemble des individus. Ici nous présentons uniquement le coefficient de GINI pour l'ensemble des familles économiques, incluant les ménages formés d'une personne seule. Au niveau international, on utilise un coefficient de GINI normalisé qui permet de comparer l'inégalité des revenus dans divers pays.

Dans ce texte, nous étudierons l'évolution de deux coefficients GINI: le premier, dit « de marché », est calculé pour les revenus du marché (revenus bruts avant impôt); le deuxième, dit « de revenu disponible », est calculé à partir du revenu disponible des individus, c'est-à-dire après avoir soustrait les impôts et avoir ajouté les prestations sociales. La différence entre ces deux indices reflète l'effort de redistribution des politiques fiscales et sociales des divers gouvernements.

Nous présentons l'évolution des deux coefficients de GINI pour le Québec de 1976 à 2009 au Graphique 1 qui suit.

Graphique 1. Coefficient de Gini, Revenu ajusté avant et après impôt et transferts, Qué¬bec, 1976 à 2009

Source: Statistique Canada, Tableau 202-0709
(Graphique reproduit de Lamoureux et Bourque, 2011)

Comme dans la grande majorité des pays industrialisés, la répartition des revenus du marché au Québec est devenue moins égalitaire depuis le milieu des années 1970 et s'est stabilisé au cours des années 2000. Quant à la répartition des revenus disponibles (après impôt et prestations sociales), on constate une tendance à la hausse depuis la fin des années 1980 et une stabilisation au cours des années 2000. La différence entre les deux courbes mesure l'impact des interventions publiques sous forme de taxation et de prestations sociales. Cette différence s'est accrue de manière importante de 1976 à 1988, a diminué au tournant des années 2000 pour se stabiliser depuis. Dans ce qui suit, nous étudierons l'évolution des inégalités au Québec au cours des années 2000 et comparerons la situation du Québec à celle des autres provinces canadiennes.

Pour la période plus récente, soit de 2000 à 2008, on constate de légères variations de l'inégalité des revenus du marché dans toutes les provinces canadiennes, comme l'indique le Tableau 3 qui suit. Cinq provinces (Nouvelle-Écosse, Québec, Ontario, Manitoba et Colombie-Britannique) ont vu les inégalités de revenus augmenter légèrement au cours de la période alors que dans les autres provinces, les inégalités ont diminué. Pour l'ensemble du Canada, les inégalités dans la distribution des revenus de marché sont identiques en 2000 et 2008 (43,9 %).

Tableau 3. Coefficient de Gini*, revenu du marché ajusté, où chaque individu est représenté par le revenu de son ménage ajusté, ensemble des familles économiques, les provinces et le Canada, 2000-2008
  2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Provinces (points)
T-N-et-Labrador 50,1 49,7 50,1 49,8 49,3 49,6 49,1 48,1 48,0
Île-du-Prince-Édouard 43,8 43,0 44,3 41,7 41,3 40,4 41,1 39,9 41,4
Nouvelle-Écosse 43,8 44,1 44,2 43,2 42,3 42,0 42,2 42,6 44,3
Nouveau-Brunswick 43,8 44,3 44,6 45,1 44,9 44,2 44,8 44,3 42,4
Québec 44,3 45,0 44,8 44,2 44,5 44,2 44,3 44,4 44,8
Ontario 43,7 43,4 43,0 43,2 44,4 43,0 43,0 43,1 43,8
Manitoba 41,1 41,0 42,0 41,9 41,8 41,6 42,4 43,0 41,3
Saskatchewan 42,6 42,5 42,7 42,9 43,0 44,5 44,1 43,4 41,8
Alberta 41,1 40,4 39,2 40,6 40,1 39,3 40,9 40,6 40,3
Colombie-Britannique 42,7 43,9 45,4 43,7 43,7 43,2 42,6 41,6 43,1
Canada 43,9 44,0 43,9 43,7 44,2 43,5 43,6 43,5 43,9

*Afin de faciliter la lecture des tableaux sur les indices de GINI, ces données sont présentées en unités (1 à 100) plutôt qu'en décimaux (de 0 à 1).
Source: Statistique Canada, Tableau 202-0709

Les provinces affichant la plus grande inégalité des revenus de marché (les indices les plus élevés) sont Terre-Neuve-et-Labrador et le Québec, et ce, tout au long de la période. À l'inverse, la province affichant la moins grande inégalité est l'Alberta.

L'intervention de l'État

Cette répartition des revenus est celle qui existerait sans l'intervention de l'État. Or l'État intervient tant à travers des politiques fiscales que les programmes de sécurité sociale afin d'amoindrir les inégalités.

Ainsi, la situation est quelque peu différente lorsque l'on examine l'évolution du coefficient de GINI selon le revenu disponible, c'est-à-dire après l'intervention de l'État (Tableau 4).

Tableau 4. Coefficient de Gini, revenu disponible, où chaque individu est représenté par le revenu de son ménage ajusté, ensemble des familles économiques, les provinces et le Canada, 2000-2008
  2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Province (points)
T-N-et-Labrador 30,2 29,0 30,5 29,6 29,9 30,2 30,0 29,9 30,7
Î-P-E 28,5 27,7 28,5 26,7 26,7 25,7 26,9 25,4 27,4
Nouvelle-Écosse 29,5 29,8 30,2 29,5 29,2 29,3 29,4 29,6 30,1
N-Brunswick 29,1 29,0 29,1 29,7 29,8 29,3 29,5 29,4 28,1
Québec 29,4 29,8 30,1 29,5 29,9 29,6 29,4 29,2 29,9
Ontario 32,5 32,1 32,0 32,1 33,2 32,1 32,1 31,9 32,3
Manitoba 29,0 29,1 30,5 29,5 29,7 29,8 30,4 31,0 29,8
Saskatchewan 29,5 29,6 29,6 30,4 30,7 32,5 32,2 31,5 30,8
Alberta 31,2 31,1 29,8 31,1 31,0 30,3 31,4 31,8 31,8
Colombie-Britannique 31,2 32,8 34,1 32,4 32,8 32,5 32,3 31,9 32,8
Canada 31,7 31,8 31,8 31,6 32,2 31,7 31,8 31,6 32,1

Source: Statistique Canada Tableau 202-0709

Remarquons d'abord que tous les coefficients du revenu disponible au Tableau 4 sont inférieurs aux coefficients du revenu de marché présentés au Tableau 3, car les politiques fiscales et les prestations sociales prises dans leur ensemble ont pour effet global de réduire les inégalités dans la distribution des revenus dans chacune des provinces. Cependant, l'ampleur des différences entre les deux indices varie d'une province à l'autre, comme on le verra plus loin.

Malgré les interventions publiques, sept provinces incluant le Québec ont vu les inégalités augmenter de 2000 à 2008. Seules les provinces de l'Ontario, du Nouveau-Brunswick et de l'Île-du-Prince-Édouard ont joui d'une réduction des inégalités. Pour l'ensemble du Canada, le coefficient a augmenté légèrement, passant de 31,7 à 32,1.

Contribution des actions gouvernementales

Il est intéressant de mesurer la contribution relative des politiques fiscales et sociales à la réduction des inégalités des revenus dans chaque province. Nous présentons au Tableau 5 l'écart entre le coefficient (marché) du Tableau 3 et le coefficient (revenu disponible) du Tableau 4 pour l'année 2008.

Tableau 5. Coefficients de Gini, où chaque individu est représenté par le revenu de son ménage ajusté, selon le type de famille économique, les provinces et le Canada, 2008
Province GINI (marché) GINI (revenu disponible) Difference Difference en %
Terre-Neuve-et-Labrador 48,0 30,7 -17,3 -36,0
Île-du-Prince-Édouard 41,4 27,4 -14,0 -33,8
Nouvelle-Écosse 44,3 30,1 -14,2 -32,1
Nouveau-Brunswick 42,4 28,1 -14,3 -33,7
Québec 44,8 29,9 -14,9 -33,3
Ontario 43,8 32,3 -11,5 -26,3
Manitoba 41,3 29,8 -11,5 -27,8
Saskatchewan 41,8 30,8 -11,0 -26,3
Alberta 40,3 31,8 -8,5 -21,1
Colombie-Britannique 43,1 32,8 -10,3 -23,9
Ensemble du Canada 43,9 32,1 -11,8 -26,9

On voit qu'au Québec, les interventions étatiques ont réussi à diminuer les inégalités produites par le marché de 33,3 % en 2008 (de 44,8 à 29,9). Alors que le Québec enregistrait en 2008 la deuxième plus grande inégalité dans la distribution des revenus de marché (indice de 44,8) après Terre-Neuve-et-Labrador (48,0), il se situe au 7e rang des inégalités après l'intervention de l'État (29,9). Seules les provinces de l'Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick et du Manitoba ont une distribution des revenus disponibles plus égalitaires que le Québec.

Le Québec, avec un écart de 33,3 % se compare avantageusement avec l'ensemble du Canada (26,9 %) et encore plus avantageusement avec l'ensemble des autres provinces canadiennes, c'est-à-dire le Canada moins le Québec.

Le Canada dans le monde

Si la distribution des revenus est plus égalitaire au Québec que dans l'ensemble du Canada, au niveau international, le Canada et le Québec font moins bien que la majorité des pays qui ont un niveau de développement économique comparable (Tableau 6).

Tableau 6. Coefficient de GINI avant et après impôts et transferts et impact de la redistribution, milieu des années 2000, différents pays de l'OCDE et le Québec
  Gini avant impôt et transferts Gini après impôt et transferts Impact de la redistribution
points
Impact de la redistribution
%
Danemark 41,7 23,2 -18,4 -44,1
Suède 43,2 23,4 -20,6 -47,7
Autriche 43,2 26,5 -16,8 -38,9
Belgique 49,4 27,1 -22,3 -45,1
Pays-Bas 42,3 27,1 -15,2 -35,9
Norvège 43,3 27,6 -15,7 -36,3
France 48,2 28,1 -20,1 -41,7
Québec (2006) 44,3 29,4 -14,9 -33,6
Allemagne 50,7 29,8 -20,9 -41,2
Canada (2006) 43,6 31,8 -11,8 -27,1
Royaume-Uni 46,0 33,5 -12,5 -27,2
Italie 55,7 35,2 -20,5 -36,8
États-Unis 45,7 38,1 -7,6 -16,6

Source: tiré de Goudswaard et al (2010:6) pour les pays autres que le Canada et le Québec. Statistique Canada, tableau 202-0709. (Tableau reproduit de Lamoureux et Bourque 2011)

Le Canada se situe au 10e rang sur 12 pays quant à l'égalité dans la distribution des revenus disponibles. En intégrant le Québec dans ce tableau, ce dernier se situerait au 8e rang sur 13 pays, entre les pays les plus égalitaires tels le Denmark et la Suède, qui mènent le bal avec des coefficient de GINI de 23,2 et 23,4, et les plus inégalitaires que sont l'Italie et surtout les États-Unis, avec des indices de 35,1 et 38,2 respectivement.

Partie 3
La pauvreté chez les personnes handicapées

Comme le soulignait l'OPHQ dans son mémoire sur le Projet de loi 112, « les personnes handicapées et leur famille continuent d'être surreprésentées parmi les groupes les plus durement confrontés à la pauvreté et l'exclusion sociale ». Rappelons que seulement 35 % des personnes handicapées âgées de 15 à 64 ans ont un emploi, alors que la proportion passe au double dans l'ensemble de la population de ce groupe d'âge (CCLP, 2009: 32).

Lorsque l'on tente de cerner la réalité de la pauvreté chez les personnes handicapées au Canada et dans chacune des provinces, nous devons composer avec une importante carence d'informations statistiques. Cette situation est tout à fait regrettable, inacceptable même, compte tenu de l'incidence sérieuse de ce phénomène chez ce groupe de citoyens. En fait, les seules données disponibles proviennent de l'Enquête canadienne sur la participation et les limitations d'activités (EPLA) de 2001 et de 2006, qui utilisent les seuils de faible revenu après impôt de Statistique Canada.

Voici quelques données pour l'ensemble du Canada selon l'EPLA de 2006:

  • les personnes handicapées représentent 16,5 % de la population canadienne de 15 ans et plus, soit pratiquement 4, 2 millions de personnes;
  • 20,5 % des personnes handicapées âgées de 15 à 64 ans vivent sous le seuil de faible revenu après impôt de Statistique Canada comparativement à 10,7 % pour l'ensemble de la population de ce groupe d'âge;
  • 31 % des personnes handicapées canadiennes résidant seules vivent dans la pauvreté comparativement à 21,3 % de leurs pairs non handicapés;
  • Plus de 50 % des personnes handicapées vivant avec d'autres personnes non apparentées (par exemple en colocation, en pension ou en résidence commune) vit en deçà du seuil de pauvreté, comparativement à 36,3 % de leurs pairs non handicapés;
  • 21,3 % des parents célibataires handicapés ont atteint un seuil de faible revenu/pauvreté comparativement à 18,4% des parents célibataires non handicapés.

L'EPLA de 2001 et celui de 2006 contiennent une série de données provinciales dont un des objectifs est de permettre au lecteur ou au chercheur de constater des différences, parfois notables, entre les provinces et de mesurer les changements dans le temps. Ainsi, le Tableau 7 présente les taux de faible revenu pour les personnes sans incapacités et avec incapacités, pour l'ensemble du Canada et les provinces en 2006.

Tableau 7. Taux de faible revenu après impôt, personnes sans incapacités et avec incapacités, le Canada et les provinces, 2006
Province Sans incapacités Avec incapacités
Terre-Neuve-et-Labrador 9,1% 22,9%
N,B, et ÎPE 7,7% 17,3%
Nouvelle-Écosse 8,9% 16,8%
Québec 12,0% 32,0%
Ontario 10,3% 13,3%
Manitoba 9,7% 20,1%
Saskatchewan 9,5% 17,4%
Alberta 8,5% 13,7%
Colombie-Britannique 13,2% 19,6%
Ensemble du Canada 10,7% 20,3%

Source: EPLA 2006

Pour l'ensemble du Canada, les données indiquent que l'incidence de la pauvreté chez les personnes avec incapacités est 1,9 fois plus élevée que chez les personnes sans incapacités. Pour les provinces, ce facteur varie de 1,5 en Colombie-Britannique à 2,7 au Québec. En examinant les chiffres, on remarque que le taux de faible revenu chez les personnes avec incapacités au Québec s'élève à 32,0 %, un chiffre de beaucoup supérieur à celui des autres provinces, lequel varie de 13,3 % en Ontario à 22,9 % à Terre-Neuve-et-Labrador.

Pour des raisons que nous expliquons ici, mais encore plus en détail à l'Annexe 1, il apparaît pour le moins risqué de comparer la situation du Québec avec celle des autres provinces canadiennes ou de l'ensemble du Canada.

Premièrement, comme nous l'avons souligné au début du texte, les seuils de faible revenu utilisent des données pancanadiennes, ce qui a pour effet de sous-estimer de manière importante les taux de faible revenu dans les provinces où le revenu moyen est supérieur à la moyenne canadienne (Ontario) et de surestimer ces taux dans les provinces où le revenu moyen est inférieur à la moyenne canadienne (Québec). (Lanctôt et Fréchet, 2002)

Deuxièmement, selon l'Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ, 2008: Annexe A), les données pour le Québec souffrent d'une anomalie sérieuse qui se répercute dans plusieurs statistiques tirées des enquêtes EPLA, lesquelles sont utilisées pour faire des comparaisons interprovinciales (Crawford, 2010). D'abord, avance l'OPHQ, les réponses à l'Enquête EPLA provenant du Québec sous-estiment de manière importante la présence d'une incapacité. Ainsi, le Québec est la province où le taux d'incapacité est le plus faible parmi l'ensemble des provinces canadiennes, tant dans l'EPLA de 2001 que dans celle de 2006. En 2006, le Québec avait un taux d'incapacité de 11,9 %, comparativement à 16,6 % pour l'ensemble du Canada. Ensuite, la proportion relative des personnes avec une incapacité légère est beaucoup plus faible au Québec (30,4 %) que dans l'ensemble du Canada (34,1%) alors que la part des personnes avec une incapacité grave ou très grave est beaucoup plus forte au Québec (46,1 %) qu'au Canada (40,9 %). Enfin, il est démontré que les taux de pauvreté ou de faible revenu augmentent selon la sévérité de l'incapacité (Crawford, 2010; ISQ, 2010).

Ceci étant dit, que nous révèlent les données des enquêtes de 2001 et de 2006 sur la pauvreté et son évolution chez les personnes handicapées au Québec?

Tableau 8. Membre d'un ménage vivant sous le seuil de faible revenu selon le sexe et l'âge, population de 15 ans et plus avec et sans incapacité, Québec, 2006
  Avec incapacité Sans incapacité
  Nombre % %
Ensemble 164 610 22,9 11,4
       
Sexe      
Hommes 65 700 20,5 10,4
Femmes 98 920 24,8 12,4
       
Age      
15-64 ans 130 100 32,0 12,0
65 ans et 34 510 11,0 7,5

Source: Institut de la statistique du Québec (2010) Tableau 4.7

À la lecture du Tableau 7, on constate que l'incidence du faible revenu est deux fois plus importante chez les personnes de 15 ans et plus avec incapacités (22,9 %) que chez l'ensemble de la population de 15 ans et plus (11,4 %). Si on examine de plus près l'incidence selon l'âge, il s'avère que le taux de faible revenu chez les personnes handicapées de 15 à 64 ans est presque trois fois plus élevé que celui chez les personnes âgées handicapées de 65 ans et plus.

Les taux de faible revenu varient de manière importante selon le type d'incapacité, comme on peut le constater à la lecture du Tableau 9 qui présente ces taux selon le type d'incapacité chez la population avec incapacité. Il s'élève à 17,7 % pour les personnes souffrant de troubles de l'audition et à 40,8% pour les personnes ayant des problèmes psychologiques.

Tableau 9. Membre d'un ménage vivant sous le seuil de faible revenu selon certains types d'incapacité1, population de 15 ans et plus avec incapacité, Québec, 2006
Type d'incapacité Ayant ce type d'incapacité N'ayant pas ce type d'incapacité
Audition 17,7% 24,8%
Parole 29,3% 22,1%
Apprentissage 31,9% 21,1%
Déficience intellectuelle ou trouble de développement 39,0%* 22,2%
Psychologique 40,8% 20,0%

Une personne peut présenter plus d'un type d'incapacité. L'analyse compare les personnes ayant un type d'incapacité donné avec les personnes ne présentant pas ce type d'incapacité. Seuls les types d'incapacité pour lesquels une différence significative est observée sont présentés.
* À interpréter avec prudence.
Source: EPLA 2006, Statistique Canada. Traitement: Institut de la statistique du Québec.
Tableau tiré de Institut de la statistique du Québec (2010) Tableau 4.8

Pour terminer cette section, malgré les réserves que nous avons soulevées quant à la fiabilité de ces données, nous présentons au Tableau 10 l'évolution des taux de faible revenu de 2001 à 2006 de la population de 15 ans et plus avec incapacité au Québec. On peut cependant en dégager les grandes tendances.

Tableau 10. Membre d'un ménage vivant sous le seuil de faible revenu selon le sexe et l'âge, population de 15 ans et plus avec incapacité, Québec, 2001 et 2006
Population avec incapacités 2001 2001 2006 Changement en %
Ensemble 32,7% 22,9% -30,0%
Hommes 29,0% 20,5% -29,3%
Femmes 35,6% 24,8% -30,3%
15-64 ans 36,2% 32,0% -11,6%
65 ans et 27,9% 11,0% -64,2%

Sources: EPLA 2001 et 2006, Statistique Canada.
Traitement: Institut de la statistique du Québec.
Source: Institut de la statistique du Québec (2010) Figure 4,2

Il apparaît que l'âge est le facteur déterminant quant à l'incidence de la pauvreté chez les personnes handicapées. Lorsque l'on considère la population dans son ensemble, le taux de réduction du nombre de personnes handicapées à faible revenu est semblable chez les hommes et les femmes. Cependant, l'incidence du faible revenu demeure toujours plus élevée chez les femmes, tant en 2001 qu'en 2006. Également, ce sont les personnes handicapées en âge de travailler (15 à 64 ans) qui ont le plus haut taux de faible revenu, celles aussi pour qui l'amélioration de la situation est la plus faible de 2001 à 2006 (-11,6 %).

Si on compare les données du Tableau 10 à celles du Tableau 1 qui présente l'évolution de la pauvreté pour l'ensemble de la population du Québec, il ressort que la diminution de la pauvreté chez les personnes handicapées a été plus importante entre 2001 et 2006 (-30,0 %) que la réduction de la pauvreté dans l'ensemble de la population (-20,5 %). Cet écart s'explique cependant essentiellement par les progrès réalisés chez les personnes handicapées de 65 ans et plus. Chez les 15 à 65 ans, la situation est bien différente: la diminution du taux de pauvreté chez les personnes handicapées de ce groupe d'âge (-11,6 %) est légèrement inférieure à celle de l'ensemble de la population du groupe d'âge semblable (-13,4 %).

Conclusion

Comme le suggère la définition retenue dans la Loi québécoise de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, la pauvreté est un phénomène multidimensionnel que l'on ne peut réduire à une question d'insuffisance de revenus. C'est pourquoi des organismes québécois comme le Centre d'études sur la pauvreté et l'exclusion travaillent à développer une série de mesures et d'indices qui permettront de cerner plusieurs autres aspects de la question (CEPE, 2009).

Compte tenu des limites du mandat qui nous a été confié, ce texte s'appuie presque exclusivement sur des données quantitatives concernant les taux de faible revenu et de pauvreté et ne peut évidemment prétendre dresser un portrait complet de la situation.

Il est beaucoup trop tôt pour trancher dans quelle mesure l'objectif de cette loi qui est « d'amener progressivement le Québec au rang des nations industrialisées comptant le moins de personnes pauvres d'ici 2013 » a été atteint. Compte tenu des délais de plusieurs années dans la publication des différentes enquêtes sur la pauvreté et de l'attente pour le développement d'indicateurs complémentaires aux données financières, nous ne le saurons probablement pas avant 2015 ou 2016.

Ceci étant dit, pouvons-nous, à partir des données exposées dans ce texte, tirer un certain nombre de constats quant au succès relatif de la stratégie de lutte contre la pauvreté adoptée par le Québec?

En ce qui concerne l'ensemble de la population, le portrait est très différencié. Si la tendance générale est une diminution progressive du taux de pauvreté tout au long de la période et si des gains importants ont été accomplis pour certains segments importants de la population (comme les familles avec enfants), des problèmes importants persistent chez d'autres groupes, particulièrement chez les personnes seules et les familles monoparentales dirigées par une femme; malgré certains gains, ces derniers groupes affichaient toujours en 2008 des taux très élevés de pauvreté. Au niveau canadien, le Québec a fait des progrès importants, tant pour ce qui concerne le taux général de pauvreté que pour l'incidence de la pauvreté sévère.

Au chapitre de la distribution des revenus disponibles mesurée par le coefficient de GINI, le Québec est la province la plus égalitaire en 2007, après l'Île-du-Prince-Édouard, alors qu'il était devancé par trois provinces en 2000. L'intervention gouvernementale joue un rôle majeur dans la diminution des inégalités dans toutes les provinces. Ce constat est particulièrement vrai pour le Québec, qui est la deuxième province la plus inégalitaire lorsque l'on examine les revenus du marché, mais la deuxième province la plus égalitaire lorsque l'on tient compte des programmes sociaux et de l'impôt.

Les taux de pauvreté demeurent aussi très élevés chez les groupes les plus vulnérables de la société: les immigrants, les autochtones et les personnes handicapées (CCLP, 2009). Nous ne pouvons que déplorer l'importante carence d'informations statistiques concernant ces groupes de la population et espérer que cette situation sera corrigée dans les plus brefs délais.

Nous avons tout de même utilisé les deux enquêtes canadiennes sur la participation et les limitations d'activités effectuées en 2001 et en 2006. Selon ces enquêtes, le taux de faible revenu chez les personnes handicapées du Québec (mesuré à l'aide des seuils de faible revenu de Statistique Canada) aurait diminué de 30 % au cours de ces cinq années, tant chez les hommes que chez les femmes; mais celles-ci présentent toujours un taux de pauvreté supérieur à celui des hommes. Cette diminution importante ne doit pas cacher le fait que l'incidence de la pauvreté demeurait très élevée en 2006. Cependant, force est de constater que la quasi-totalité de l'amélioration concerne les personnes âgées dont le taux de pauvreté aurait diminué de 64 % de 2001 à 2006. Chez les adultes de moins de 65 ans, les gains ont été très modestes, de l'ordre de 11 %, alors que l'incidence de la pauvreté chez ces personnes est la plus élevée.

Nous avons souligné le fait que les données sur les taux de faible revenu des EPLA peuvent difficilement être utilisées pour comparer la situation québécoise à celle des autres provinces. Pour ce faire, nous devrons attendre la publication de données plus fiables qui prennent en compte des conditions économiques et sociales particulières de chaque province.

Annexe 1
Des données provinciales difficilement comparables

Selon les enquêtes EPLA de 2001 et de 2006, le Québec est la province où le taux d'incapacité est de beaucoup plus faible que les taux que l'on retrouve dans toutes les autres provinces. En 2001, le Québec avait un taux d'incapacité de 9,8 %, comparativement à 14,6 % pour l'ensemble du Canada. En 2006, ces chiffres sont de 11,9 % et 16,6 % respectivement. Ces différences se retrouvent aussi à l'intérieur de chaque province lorsque l'on compare les taux d'incapacités des francophones à ceux des anglophones. Selon l'OPHQ: « Les francophones du Québec ou d'ailleurs au Canada auraient ainsi tendance, comparativement aux anglophones, à moins déclarer les incapacités légères, d'où des taux d'incapacité plus faibles ... Ce constat a donc pour effet de diminuer les taux d'incapacité au Québec, majoritairement francophone. »

En plus de sous-estimer le taux d'incapacité au Québec, les enquêtes EPLA font aussi ressortir que la proportion des personnes avec incapacités légères est plus faible au Québec que dans l'ensemble du Canada alors que la proportion de personnes avec incapacité grave ou très grave est plus élevée, comme le démontre la tableau suivant qui présente la répartition de l'incapacité selon la gravité par province et dans l'ensemble du Canada en 2001.

La répartition de la population avec incapacité selon la gravité, selon les provinces et dans l'ensemble du Canada, population de 15 ans et plus, 2001
Provinces Légère Modérée Grave/très grave Total
%
Nouvelle-Écosse 34,1 26,4 39,5 100,0
Saskatchewan 39,8 24,2 36,0 100,0
Île-du-Prince-Édouard 37,8 29,0 33,2 100,0
Nouveau-Brunswick 33,2 26,4 40,4 100,0
Manitoba 36,6 27,4 36,0 100,0
British Columbia 37,1 26,7 36,2 100,0
Ontario 32,8 24,4 42,8 100,0
Alberta 38,8 25,4 35,7 100,0
Terre-Neuve et Labrador 31,7 26,1 42,2 100,0
Québec 30,4 23,5 46,1 100,0
Canada 34,1 25,0 40,9 100,0

Source: EPLA 2001

Le Québec, à majorité francophone, est la province qui compte la plus faible proportion de personnes avec une incapacité légère parmi l'ensemble des personnes handicapées. Ainsi, 30 % de l'ensemble des personnes handicapées souffriraient d'une incapacité légère au Québec alors qu'au Canada, cette proportion est de 34 %. Dans certaines provinces comme la Saskatchewan et l'Alberta, elle atteint presque 40 %. On remarque aussi que la proportion de personnes ayant une incapacité modérée au Québec est semblable à celle observée au Canada (23,5 % c. 25 %).

Il en découle qu'au Québec, les personnes avec une incapacité grave ou très grave forment une proportion plus importante dans l'ensemble des personnes handicapées que dans l'ensemble du Canada et les autres provinces (46 % c. 40,9 % au Canada).

Or, comme le souligne l'Institut de la statistique du Québec (ISQ, 2010: 103), « La proportion des personnes de 15 ans et plus avec incapacité qui appartiennent à un ménage vivant sous le seuil de faible revenu varie selon la gravité de l'incapacité ». Pour l'ensemble du Canada cette proportion se situe à 14,6% chez les personnes dont l'incapacité est légère et passe à 18,3% et 27,3 % respectivement chez celles ayant une incapacité qualifiée de modérée ou de grave à très grave (Crawford, 2010), l'écart étant significatif entre les deux catégories extrêmes de l'indice. Pour le Québec, ces chiffres sont de 18%, 25% et 26% respectivement (ISQ, 2010).

C'est ainsi que les taux de faibles revenus des personnes handicapées au Québec, tels qu'ils apparaissent dans l'EPLA de 2001 et de 2006, peuvent très difficilement faire l'objet de comparaison avec les autres provinces ou l'ensemble du Canada.

Bibliographie

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  • Statistique Canada (2001) Enquête canadienne sur la participation et les limitations d'activités
  • Statistique Canada (2006) Enquête canadienne sur la participation et les limitations d'activités
  • Statistique Canada Tableau 202-0709
  • [1]Statistique Canada a toujours refusé de considérer les indicateurs de faibles revenus comme étant des seuils de pauvreté, mais un grand nombre d'organismes les ont toujours utilisés à cette fin, en l'absence de seuils officiels de pauvreté relative.
  • [2]On peut utiliser le seuil de 30 % de la médiane comme indicateur de pauvreté extrême.
  • [3]L'indice de pauvreté modérée est calculé comme étant la moitié du revenu médian alors que l'indice de pauvreté extrême est calculé comme étant 30 % du revenu médian.