L'immigration et les personnes handicapées

Le 4 mars 2009

 


À: Tous les Membres du Parlement

OBJET: L’immigration et les personnes handicapées


Le CCD désire vous tenir au courant des questions préoccupant les personnes handicapées. En 2008, nous vous avons envoyé trois articles: le premier, un court document sur notre Plan d’action national pour les personnes handicapées; le deuxième, une vue d’ensemble de nos inquiétudes concernant l’affaire Latimer et le dernier, un article axé sur la question de l’immigration appliquée aux personnes handicapées.

Le CCD se propose de poursuivre un tel envoi au cours de la présente année et vous transmettra des articles portant sur les questions politiques touchant les membres de notre organisation. Un nouveau cas d’immigration a occupé le devant de la scène au début de l’année 2009. Chris Mason, un Winnipegois atteint d’une déficience dans le cadre de son travail, s’est vu refuser le statut de résident permanent et a été déporté parce qu’il était considéré comme un fardeau pour les services sociaux et de santé. Le traitement infligé à M. Mason a fortement inquiété plusieurs de nos membres car il stigmatise la dévalorisation sociétale des contributions citoyennes effectuées par les personnes handicapées et leurs familles. Dans ses efforts continus de sensibilisation à la discrimination exercée à l’égard des personnes handicapées par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le CCD a rédigé un autre article sur l’immigration et les personnes handicapées. Nous espérons que ces articles vous seront utiles. Nous sommes prêts à vous rencontrer, à votre convenance, pour discuter de nos préoccupations.

Dans l’attente, nous vous prions d’accepter l’expression de nos sentiments les meilleurs.


Marie White
Présidente nationale du CCD

Laurie Beachell
Coordonnateur national du CCD
 

Pièce jointe:
Document du CCD sur l'immigration: Le Canada déporte Chris Mason à cause de sa déficience


Le Canada déporte Chris Mason à cause de
sa déficience physique

Chris Mason, un citoyen britannique en fauteuil roulant, a été déporté malgré la contribution qu’il apportait au Canada en tant que travailleur. M. Mason soutient que le statut de résident permanent lui a été refusé parce que sa déficience, acquise au Canada d’ailleurs, était considérée comme un fardeau excessif. Un juge de la Cour fédérale a confirmé le jugement d’Immigration Canada dans l’affaire Mason.

Laurie Helgason raconte

M. Mason a été arrêté à Winnipeg, chez Laurie Helgason, co-présidente de SAWN-Manitoba, par des agents des services frontaliers du Canada. «Je suis horrifiée par la manière dont le Canada a traité Chris. Les agents n’allaient même pas lui permettre de prendre une valise…ou de dire au-revoir à ses amis. Je crois qu’ils ont été particulièrement durs envers Chris, a déclaré Mme Helgason. Chris a atterri en Angleterre et est immédiatement devenu l’un des nombreux sans-abri. Sa mère a fini par le conduire dans un hôpital pour blessés médullaires où il est enfin soigné pour ses nombreuses blessures. Ils sont horrifiés par le fait que le Canada ait pu renvoyer une personne ayant un besoin évident de soins médicaux. Nous tentons d’obtenir de l’aide pour lui faire parvenir toutes ses affaires, mais cela prend du temps, a poursuivi Mme Helgason qui reste en contact avec M. Mason.»

La Loi sur l’immigration perpétue les perceptions stéréotypées

Le cas Mason s’inscrit dans cette longue lignée de cas illustrant les pratiques discriminatoires, fondées sur la capacité physique, appliquées par le système de l’immigration du Canada qui cherche surtout à recruter de nouveaux arrivants aptes à l’emploi. «La Loi sur l’immigration perpétue la traditionnelle perception stéréotypée des personnes handicapées, soit des personnes moins méritoires ou fardeaux pour la société, a déclaré John Rae, vice-président du CCD. La Loi actuelle dévalorise les Canadiennes et les Canadiens avec des déficiences et ne reconnaît en rien la contribution que ces personnes et leurs familles peuvent apporter et apportent à la société canadienne.»

La réaction du CCD

Le cas Mason a enflammé l’indignation qui couvait au sein de la collectivité des personnes handicapées vis-à-vis des pratiques discriminatoires du Canada. Lors de leur réunion du 24 janvier 2009, les membres du Conseil du CCD ont décidé que le comité de politique sociale s’attaquerait à la discrimination exercée, pour motif de déficience, par le système d’immigration du Canada. «Le CCD est déterminé à faire changer un système encourageant la crainte des personnes handicapées, alléguant qu’elles pourraient surcharger les services sociaux et de santé, a déclaré Marie White, présidente du CCD. Dans les années vingt, les eugénistes nous excluaient parce que nous étions, à leur avis, biologiquement inférieurs. Aujourd’hui, les commis de caisse veulent nous exclure parce que, à leur avis, nous grugeront trop les services sociaux et de santé.» La collectivité des personnes handicapées travaille sur ce dossier depuis la tenue, en 1981 à Singapour, du Congrès de fondation de l’Organisation mondiale des personnes handicapées (OMPH). Henry Enns, fondateur de l’OMPH, avait visité des camps de réfugiés en Asie et, à son retour au Canada, avait sensibilisé le CCD au fait que les réfugiés handicapés n’étaient pas acceptés chez nous.

Où sont nos alliés?

En 1984, le CCD avait demandé à tous les candidats aux élections fédérales d’appuyer l’entrée au Canada de cinquante réfugiés handicapés par an ou plus. Si la collectivité des personnes handicapées a mis l’accent sur les pratiques discriminatoires exercées par Immigration Canada pour motif de capacité physique, à l’extérieur le soutien n’était pas au rendez-vous. Le professeur de droit Ravi Malhotra dénonce l’indifférence des activistes de justice sociale du Canada anglais. Il écrit: «...la quasi exclusion des personnes handicapées comme immigrants potentiels, pratiquée en vertu de la Loi canadienne sur l’immigration et la protection des réfugiés, a été à maintes et maintes reprises occultée par les organisations et les activistes de gauche. Les efforts accomplis par les défenseurs des droits des personnes handicapées pour contester ces exclusions ont également été ignorés. (Malhotra, 2006).


Un réfugié aveugle confiné en sanctuaire

M. Mason n’est pas la seule personne handicapée à défier le système canadien de l’immigration. Abdelkader Belaouni, un refugié aveugle algérien, est confiné en sanctuaire dans l’église Pointe Saint-Charles de Montréal, Québec. «Je ne me cache pas d’Immigration Canada, mais je veux leur dire clairement: je ne me présenterai pas à la déportation. J’ai réussi à atteindre l’autonomie et la dignité à Montréal, et je ne veux pas perdre ça. Mes amis sont ma famille ici. Je suis ici pour me défendre, je suis ici pour défendre la justice» a déclaré M. Belanoui en parlant de sa situation sur son site Web.

Un sentiment d’intense vulnérabilité

Dans un rapport publié en 1998, le Dr Judith Dandys décrit la recherche qu’elle a effectuée sur des expériences d’immigration vécues par des personnes handicapées d’origine ethnique. Elle explique: «de nombreuses personnes nous ont parlé des délais de procédures d’immigration ou de l’obligation de soumettre une nouvelle demande après que la première ait été rejetée; d’autres ont raconté qu’elles ont dû attendre que leur conjoint(e) handicapé (e) soit admis(e) et d’autres encore que les membres de leur famille ont dû verser d’importantes sommes pour s’assurer qu’elles ne constitueraient pas un fardeau. Les permis ministériels sont perçus comme particulièrement problématiques, contrecarrant l’accès aux services requis et intensifiant le sentiment de vulnérabilité.» (Sandys, 1998). Le permis ministériel est un mécanisme discrétionnaire qui autorise des requérants autrement inadmissibles à entrer au Canada et à y demeurer. Ce mécanisme risque de prolonger la discrimination systémique du système d’immigration. En effet, le ministère règle les demandes au cas par cas lorsqu’elles deviennent trop publiques ou se retrouvent devant les tribunaux. Si cette méthode favorise le règlement de cas personnels, elle ne corrige nullement la discrimination enracinée dans le système.

Projet de loi C-254

Le 28 janvier 2009, Judy Wasylicia-Leis (Députée de Winnipeg-Nord et porte-parole du NPD sur les questions touchant les personnes handicapées a demandé à présenter le projet de loi C-254, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (exception à l'interdiction de territoire).

Parlant du Projet de Loi C-25 devant les députés de la Chambre, Mme Wasylycia-Leis a déclaré «Le projet de loi imposerait des restrictions au gouvernement actuel qui a tendance à se servir de l'article 38 de la Loi, au-delà de ses intentions initiales et à exclure arbitrairement et unilatéralement des personnes handicapées. Le projet de loi vise à mettre un terme à l'hypocrisie dont fait preuve le Canada, d'une part, en souscrivant à une convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées et, d'autre part, en minant cette convention en s'appuyant sur des stéréotypes injustifiés, comme le démontre si bien l'expulsion de Chris Mason, un habitant de Winnipeg accueilli chaleureusement au Canada au début, mais expulsé du pays après qu'il eut été atteint d'une déficience physique.» (Hansard, 2009)

Un peu d’histoire

L’Acte de 1859 concernant les émigrés et la quarantaine autorisait l’immigration des personnes handicapées qui pourraient «permanemment devenir à charge au public» à condition qu’une garantie soit versée pour leur soutien. La Loi de l’immigration de 1910 a été modifiée en 1919 pour devenir plus restrictive et interdire l’immigration des personnes ayant une déficience mentale. La Loi de 1927 incluait un article interdisant l’immigration des personnes «mentalement ou physiquement atteintes, au point de ne pouvoir gagner leur vie qu’avec difficulté.» La Loi sur l’immigration de 1976 autorisait une nouvelle pratique, à savoir l’exclusion des personnes handicapées susceptibles d’imposer un «fardeau excessif» aux services sociaux ou de santé. Cette pratique s’est poursuivie avec la Loi sur l’immigration de 1985 et son sous-alinéa (19)(1)(a)(ii) ainsi qu’avec l’actuelle Loi de 2001 sur l’immigration et la protection des réfugiés et son sous-alinéa (38) (I)(c). En vertu de ces deux très semblables articles, «le fardeau excessif» que pourraient imposer les personnes handicapées aux services sociaux ou de santé, est devenu un critère d’exclusion en matière d’immigration (Hilewitz c. Canada, 2005, 2. R.C.S 706, 2005, CSC 57)

Dossier immigration: Les grandes étapes pour la collectivité de défense des droits des personnes handicapées

2007 - Le Canada a signé la Convention relative aux droits des personnes handicapées qui, à l’article 18 (Droit de circuler librement et nationalité), «Les États parties veillent notamment à ce que les personnes handicapées……(b): ne soient pas privées, en raison de leur handicap, de la capacité d’obtenir, de posséder et d’utiliser des titres attestant leur nationalité ou autres titres d’identité ou d’avoir recours aux procédures pertinentes, telles que les procédures d’immigration, qui peuvent être nécessaires pour faciliter l’exercice du droit de circuler librement;»

2005 - La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Hilewitz c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration; DeJong c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, est saluée comme une avancée pour les personnes handicapées. «S’il est raisonnable que la politique canadienne de l’immigration s’assure que les immigrants n’imposent pas de «fardeau excessif» au Canada, a déclaré la juge Rosalie Abella, il est inacceptable que ces règles soient appliquées de manière à empêcher l’immigration de «toutes les personnes ayant une déficience mentale, quelle que soit l’aide ou le soutien familial dont elles pourraient bénéficier» La Juge Abella a jugé quelque peu incongru que les avoirs des familles Hilewitz et De Jong, grâce auxquels ils ont été admis au Canada, n’aient pas été pris en considération lorsque leurs enfants ont été jugés inadmissibles à cause du fardeau qu’ils imposeraient aux services sociaux.

2001 – La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés a remplacé la Loi sur l’immigration de 1985. Elle maintient les interdictions d’immigration des personnes handicapées «risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé»

2001 - Plusieurs tentatives visant à faire exempter les candidats d’une province des restrictions de «fardeau excessif» ont été menées en vain.

2001 - Le CCD est intervenu auprès de la Cour fédérale dans l’affaire Angela Chesters, qui s’était vue refuser le statut de résidente permanente parce qu’elle était atteinte de sclérose en plaques. Dans sa plainte, la requérante soutenait que la Loi sur l’immigration violait les garanties d’égalité de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a été déboutée.

2000 – En l’an 2000, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration exempte les réfugiés au sens de la Convention de la clause de fardeau excessif.

1991 - Par le biais d’un projet de réforme omnibus, la collectivité des personnes handicapées a exhorté le gouvernement canadien à modifier la Loi sur l’immigration afin de régler la discrimination exercée à l’égard des requérants handicapés. Mais le gouvernement a maintenu les dispositions d’inadmissibilité des personnes handicapées susceptibles «de devenir un fardeau excessif» sur les services sociaux et de santé.

1985 – Le CCD a enjoint le gouvernement canadien de modifier la Loi sur l’immigration afin de la rendre conforme aux garanties d’égalité de la Charte canadienne des lois et libertés.

1984 - Le CCD a demandé à tous les candidats aux élections fédérales d’appuyer l’entrée au Canada de cinquante réfugiés handicapés par an ou plus

Plans du CCD

Le CCD a décidé de prioriser le dossier de l’immigration et des personnes handicapées puisque la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés exerce une distinction illicite envers les personnes avec des déficiences et cristallise la dévalorisation sociétale des contributions des personnes handicapées et de leurs familles. Le CCD a créé un Groupe de travail sur l’immigration et a lancé une recherche comparative des lois d’autres pays, un examen jurisprudentiel et une recherche qualitative auprès de membres de la collectivité. Le CCD soumettra, aux médias et aux décideurs, ses propositions visant à améliorer les politiques d’immigration.

Sources

Comité de soutien pour Abdelkader Belaouni - Site Web.  - Extrait, 12 février 2009

Hansard, 28 janvier 2009 “Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés”


Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 706, 2005 CSC 57

Malhotra, Ravi. 2006 “Disability rights and immigration.” New Socialist Magazine.  - Extrait 12 février 2009.

Sanders, Carol. “Deported paraplegic claims discrimination.” Winnipeg Free Press. 21 janvier 2009.


Sanders, Carol. “Man fighting deportation wants to get out of jail.” Winnipeg Free Press. 16 janvier 2009.

Sandys, Judith. 1998. “Immigration and Settlement Issues for Ethno-Racial People with Disabilities: An Exploratory Study”.  - Extrait en 2009.


Par


Marie White, présidente
Laurie Beachell, coordonnateur national