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Par des activités de renforcement de la capacité, ce projet crée une plus forte sensibilisation vis-à-vis de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), du Protocole facultatif (PF) et des mécanismes canadiens destinés à remédier à la discrimination subie par les personnes en situation de handicap. Lire la suite.
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Un bulletin du CCD.
« Pas un seul et c'est déjà trop » : Exploration historique des Lois canadiennes sur l'immigration appliquées aux personnes handicapées
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UN GROUPE DE PERSONNES HANDICAPÉES RÉCLAME L'ABROGATION DE LA CLAUSE DISCRIMINATOIRE DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION
Roy Hanes, M.S.S., PhD
Professeur agrégé en service social
Université Carleton
Résumé
Dans ce document, l'auteur examine l'évolution des lois sur l'immigration, depuis le dix-neuvième siècle jusqu'à nos jours. Il cherche à prouver, dans un optique historique, qu'en matière d'immigration, les personnes handicapées ont été traitées et continuent à être traitées comme des êtres inférieurs à leurs pairs non handicapés. À l'instar des autres groupes minoritaires, notamment les personnes de couleur, les gais et lesbiennes et les personnes de divers collectivités ethniques et culturelles, les personnes handicapées ont été classées dans les catégories de personnes interdites ou inadmissibles. Malgré les importants changements apportés aux textes législatifs pour corriger les politiques d'immigration autrefois racistes, sexistes et/ou homophobes, aucune modification analogue n'a été effectuée pour corriger la discrimination fondée sur la capacité physique, intégrée dans les lois sur l'immigration. Par conséquent, comme le prouvent les études de cas, ces lois canadiennes continuent à nier ou à restreindre les possibilités d'immigration des personnes handicapées. Tout au long de cet historique, les lecteurs aborderont d'importantes questions sur l'éthique de la discrimination continue subie par les immigrants handicapés potentiels et sur l'éthique des processus décisionnels dévalorisant les personnes avec des déficiences.
Introduction
Au cours des récentes années, de nombreux articles médias et des rapports des groupes d'intervention, notamment le Conseil des Canadiens avec déficiences, ont révélé que des personnes handicapées et des membres de leur famille s'étaient vu refuser l'autorisation d'émigrer au Canada. « Les Canadiens avec des déficiences réalisent que s'ils étaient nés ailleurs, ils n'auraient jamais pu devenir Canadiens à cause de leur déficience. » (http://www.ccdonline.ca/fr/publications/voice/2008/10). Ainsi, à l'été 2008, la famille Chapman d'Angleterre a été enjointe de quitter le Canada parce que leur petite fille de sept ans avait des troubles de développement. Au cours des récentes années, des familles immigrantes comme les De Jong des Pays-Bas et les Hilewitz d'Afrique du Sud ont contesté cette déportation auprès de la Cour suprême du Canada. Dans ces deux familles, il y avait un enfant avec une limitation intellectuelle. Ce sont des histoires déchirantes comme le démontreront les prochaines discussions. Et on ne peut s'empêcher de s'interroger sur l'éthique décisionnelle quant il s'agit de déterminer qui aura, ou non, l'autorisation d'entrer au Canada.
Le titre de ce document a été emprunté au livre « None is Too Many : Canada and the Jews of Europe 1933-1948 (Abella and Tropper, 1984). Lors de la montée du nazisme en Europe, des dizaines de milliers de Juifs ont demandé à immigrer au Canada. Mais pratiquement aucun n'a obtenu l'autorisation d'entrer au Canada. Lorsqu'interrogé sur le nombre de Juifs qui seraient autorisés à émigrer au pays, le sous-ministre de l'Immigration Frederick Blair aurait répondu « None is too many » (Pas un seul et c'est déjà trop) (Abella et Tropper, 1984). Depuis le 19ème siècle, rien n'a changé quant à l'application des lois sur l'immigration aux personnes handicapées ; et même si ce n'est pas officiellement stipulé, la notion de « Pas un seul et c'est déjà trop » est toujours appliquée aux personnes handicapées tentant d'immigrer au Canada.
Si l''immigration canadienne est historiquement imprégnée d'antisémitisme, de racisme, d'homophobie et de sexisme, les réformes effectuées au fil des ans ont permis d'éliminer certains obstacles qu'affrontaient les particuliers et les groupes autrefois privés d'entrer au Canada. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les lois sur l'immigration ont été assouplies, instaurant un code d'éthique qui interdira toute discrimination fondée sur la race, la religion, l'ethnicité, la culture, le sexe et l'orientation sexuelle. De ce fait, le Canada a accueilli des populations préalablement rejetées, comme des Juifs d'Europe, des Romanichels, des gais et lesbiennes, des personnes du Moyen Orient, d'Asie, d'Afrique, des Caraïbes ainsi que de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud. En d'autres mots, ce n'est pas seulement une question d'éthique; c'est tout simplement inacceptable de refuser le droit d'entrée à cause de la couleur de la peau, des croyances religieuses, de l'orientation sexuelle ou de la culture.
Alors que les politiques et pratiques discriminatoires à l'égard de certaines populations ont été supprimées des procédures d'immigration, un relevé historique nous prouve que cette discrimination est encore légalement exercée vis-à-vis des personnes handicapées et de leurs familles. Selon un examen historique des lois sur l'immigration, d'importantes réformes ont suscité l'accommodement, l'admission et l'accueil d'immigrants de tous les coins de la planète; mais aucune réforme de ce genre n'a été adoptée pour accommoder, admettre et accueillir les immigrants handicapés. En d'autres mots, si les réformes législatives ont éradiqué les politiques et pratiques imprégnées de racisme, de sexisme, d'idéal hétéro-sexiste, aucune réforme analogue n'a été appliquée pour éradiquer les politiques et pratiques fondées sur un concept de spécimen parfait, propre à l'espèce.
Du point de vue éthique, il est difficile de justifier le maintien des processus décisionnels discriminatoires vis-à-vis des immigrants avec des déficiences. Au cours des dernières décennies, l'adoption de lois provinciales, territoriales et fédérales visant à mettre fin à la distinction illicite fondée sur la race, le sexe, la religion, l'appartenance ethnique et l'orientation sexuelle a toujours été accompagnée de lois destinées à éradiquer la discrimination exercée à l'égard des personnes handicapées. Les lois provinciales et territoriales – et fédérales – sur les droits de la personne, interdisent toute discrimination pour motif de race, d'appartenance ethnique, de religion, de sexe, d'orientation sexuelle ou de déficience. En d'autres mots, en vertu des lois fédérales et provinciales adoptées pour supprimer la discrimination, tous les êtres ou groupes doivent être traités en toute égalité et aucune forme de discrimination n'a préséance sur une autre. Malheureusement, comme le prouvera ce document, ces règles ne s'appliquent pas aux personnes handicapées cherchant à émigrer au Canada.
Les politiques et pratiques qui restreignent ou éliminent les possibilités d'immigration des personnes avec des limitations fonctionnelles, déclenchent d'importants et intéressants débats déontologiques. Se pose alors le problème suivant: comment les politiques d'immigration s'articulent-elles aux lois sur les droits de la personne? De plus, les nombreuses réformes législatives ont prouvé que les pratiques discriminatoires en matière d'immigration étaient injustes et illicites. Mais il semblerait, en ce qui a trait aux lois sur l'immigration, que la « discrimination fondée sur la capacité physique » n'a pas la même créance que les autres types de distinction illicite comme le racisme, le sexisme ou l'homophobie.
L'auteur ne cherche pas ici à se perdre dans des débats sur l'éthique des lois qui refusent l'entrée aux personnes handicapées. Il espère en fait amener les lecteurs de ce document à tirer leurs propres conclusions sur l'élaboration de politiques éthiques et de prises de décisions déontologiques. À cette fin, nous retracerons l'évolution historique des politiques d'immigration, prouvant que les réformes apportées pour mettre fin aux pratiques discriminatoires appliquées à plusieurs et divers groupes, ont carrément occulté les personnes avec des déficiences.
Il est intéressant de noter que le statut d'immigrant d'aucun autre groupe de la population, sauf les criminels, les subversifs ou autres personnes du genre, n'a été influencé et décidé par des lois pouvant être retracées jusqu'au milieu du 19ème siècle. Les Canadiens n'accepteraient pas que des politiques d'immigration visant les personnes de couleur, les gais et lesbiennes, les femmes seules et les groupes religieux soient basées sur des textes législatifs remontant au dix-neuvième siècle. On peut imaginer le tollé qui se déclencherait. Mais en ce qui a trait à l'immigration des personnes handicapées, aucun tollé, aucune protestation, aucune campagne de contestation n'ont émané du public.
Ce document commence par un examen des premières lois canadiennes sur l'immigration de 1869 et se termine par un examen de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, de 2001. Étudiée selon une optique historique, l'élaboration de ces lois sur l'immigration peut être retracée au fil des ans. Des découvertes surgiront, notamment quant aux conséquences à long terme de l'élaboration des politiques et des comparaisons seront effectuées quant à l'impact de ces amendements législatifs sur les différentes populations. Ainsi, selon le dossier historique, les réformes effectuées après la Deuxième Guerre Mondiale, notamment celles des années 1960, ont ouvert les frontières à divers groupes. Mais en juxtaposant ces réformes avec les règlements d'immigration visant les personnes handicapées, on constate que les immigrants avec des déficiences ont d'énormes difficultés à acquérir leur citoyenneté.
On peut certes reconnaître que les lois canadiennes sur l'immigration n'ostracisent pas catégoriquement les personnes avec des déficiences. Mais avec la clause de fardeau excessif et la catégorie de personnes non admissibles, les politiques actuelles entravent nettement l'immigration des personnes handicapées. À travers ce document, l'auteur propose essentiellement d'examiner la clause de fardeau excessif et les clauses analogues relatives aux catégories de personnes inadmissibles et de personnes interdites. Ce rapport d'examen des principaux textes législatifs devrait susciter autant de questions que de réponses sur les réformes politiques et l'éthique de la prise de décision. Et les lecteurs devraient se demander : Est-ce éthique de refuser d'accorder la citoyenneté à des personnes handicapées en se basant sur des politiques instaurées il y a plus de cent quarante ans? Est-ce éthique de réformer les lois sur l'immigration dans un esprit de droits humains tout en occultant les personnes avec des déficiences? Est-ce éthique pour les décideurs de créer des lois qui, à cause d'une déficience, s'avèrent préjudiciables envers des familles et leurs êtres chers? Est-ce éthique de décider de la valeur d'une personne en se basant uniquement sur son degré de déficience?
Il est important de se rappeler, en répondant aux questions posées, que l'élaboration de ce rapport est guidée par une compréhension de l'accommodement raisonnable. L'auteur reconnaît le bien-fondé d'un ensemble de critères d'immigration, notamment en ce qui a trait à la santé et à la sécurité publiques, mais dénonce la catégorisation systématique des personnes handicapées dans le secteur des personnes inadmissibles. En effet, sis les immigrants handicapés répondent aux mêmes critères que les autres quant à la langue, l'unification familiale, l'éducation et les possibilités d'emploi, ils devraient alors bénéficier de la même considération.
1869 : Acte concernant les immigrants et l'immigration
Les provinces pré-confédérées de l'Amérique du Nord britannique avaient adopté une loi relative à l'immigration; d'autres lois analogues furent adoptées après la proclamation de la Confédération en 1867. Il est toutefois important de noter que ce n'est qu'après la Deuxième guerre mondiale que le gouvernement fédéral et les provinces purent totalement contrôler les politiques d'immigration et de citoyenneté. Il en découle donc que l'immigration dépendait de l'Angleterre et cela a continué jusqu'au 1er janvier 1949 lorsque la Loi portant sur la citoyenneté, la nationalité, la naturalisation ainsi que le statut des étrangers est entrée en vigueur (Lois du Parlement du Dominion du Canada, chapitre 54, 1946). On peut donc soutenir que, jusqu'au 1er janvier 1947, tous les immigrants arrivant au Canada étaient sujets britanniques.
La première loi canadienne sur l'immigration a été adoptée en 1869. Cet Acte concernant les immigrants et l'immigration établissait, entre autres, des protocoles concernant l'immigration des personnes handicapées, ou dans le jargon de l'époque, « la catégorie des déficients mentaux ». Cette catégorie incluait entre autres les « muets, les imbéciles, les aveugles, les idiots, les déments et les infirmes » (Lois du Canada, 1969, ch.10, p.36 et 37).
Cette première loi fédérale ne se divergeait pas beaucoup des lois provinciales ou coloniales, comme la Loi de l'immigration du Haut-Canada (Ontario) ou la Loi de l'immigration du Bas-Canada de 1948, qui chargeaient l'officier en chef ou le receveur des douanes portuaires (Montréal et Québec) d'identifier et de désigner « tous les passagers déments, idiots, sourds et imbéciles, aveugles ou infirmes et de préciser s'ils sont ou non accompagnés de parents capables de les supporter » (Règlements provinciaux du Canada, 1948, Vol. III, p.6). La Loi stipulait de plus que le surintendant médical qui estimerait que des passagers jugés « déments, idiots, sourds et imbéciles, aveugles ou infirmes seraient susceptibles de devenir un fardeau public en permanence, devrait immédiatement en aviser le receveur ou l'officier des douanes…. » (p.6)
Selon la loi de l'immigration de 1848, le surintendant médical des villes portuaires comme Montréal et Québec devait déterminer quels étaient les immigrants aptes à entrer au Canada. Il devait également enquêter sur la situation des invalides et déterminer lesquels étaient capables de se prendre en charge eux-mêmes ou d'être pris en charge par leurs familles. En d'autres mots, il incombait principalement au surintendant médical de déterminer, parmi les passagers, lesquels seraient susceptibles de dépendre d'une aide caritative; lesquels aussi constitueraient un danger pour la population à cause de leur « démence » et enfin, lesquels menaceraient la santé publique à cause d'une maladie contagieuse. Ces responsabilités ont fait partie du mandat du surintendant médical tout au long du 19ème siècle; lorsque l'immigration a été inscrite dans le champ de compétences du gouvernement fédéral, ces responsabilités elles ont été inscrites dans la première Loi de l'immigration de 1869 (Lois du Canada, 1969). Plusieurs composantes des lois canadiennes sur l'immigration semblent être issues de lois sur la quarantaine et sur la santé publique, ne serait-ce que par crainte de contracter des maladies contagieuses comme le choléra et la tuberculose. (Lois du Canada, 1866). À l'époque, il n'existait aucun traitement pour ces maladies contagieuses et le choléra a apparemment fauché plus de vingt mille (20 000) vies lors de l'épidémie qui décima le Canada à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème (Boyd and Vickers, 2000). Mais outre ces maladies ou les personnes soupçonnées d'être contagieuses, « Peu d'autres restrictions furent imposées sur ceux qui viendraient au Canada. (Le Canada en devenir, p.2)
Tout en tentant de distinguer « les invalides des personnes valides », ainsi que les malades des personnes saines, les premières lois de l'immigration n'interdisaient pas catégoriquement l'entrée au Canada aux personnes ayant des déficiences physiques et mentales. Au contraire, la loi stipulait que les personnes ayant des déficiences devaient être rapportées dès que le navire accostait au port et, qu'ensuite, plusieurs possibilités étaient offertes pour déterminer leur éventuelle admission. Et ces possibilités variaient depuis l'admission directe jusqu'à la mise en quarantaine en passant par le refus catégorique d'entrée au pays entraînant le renvoi des personnes affectées dans leur pays d'origine, le plus tôt possible. (Lois du Canada, 1869)
Tel que mentionné au préalable, outre les préoccupations de santé et de sécurité publique, un autre critère d'admissibilité au Canada devait être satisfait, et portait sur la dépendance sociale. La Loi canadienne de l'immigration de 1869 stipulait clairement que les immigrants susceptibles de dépendre du secours d'organismes de charité n'étaient pas les bienvenus. Malgré ces principes législatifs, des allocations étaient distribuées pour les dépendants sociaux. Ainsi, la Loi stipulait que les propriétaires des navires pouvaient être tenus financièrement responsables des soins et de l'entretien des « passagers dépendants » et que la compagnie devrait verser une obligation de trois cents dollars pour chacun de ces passagers. Cette somme serait ensuite versée aux municipalités, comtés, provinces ou organismes de charité pour les soins et le soutien de tels passagers, pendant une période maximale de trois ans. (Lois du Canada, 1869). En vertu de la Loi de l'immigration, les immigrants devaient fournir un certificat attestant leur bonne santé avant le voyage au Canada. Si l'équipage n'avait pas contrôlé les documents et que, par conséquent, des déficiences physiques ou mentales, et autres n'aient pas été détectées jusqu'à l'arrivée au Canada, la compagnie de transport aurait alors été tenue responsable du soin et de l'entretien de ces personnes. Mais, s'il était déterminé que la personne avait acquis sa déficience pendant le voyage ou qu'aucun diagnostic n'avait été établi avant le départ, aucune pénalité ne serait imposée au propriétaire ou capitaine du navire. (Lois du Canada, 1869)
…le percepteur des douanes pourra se dispenser d'exiger l'obligation ou la somme d'argent s'il appert par le certificat du surintendant médical que le passager à l'égard duquel une telle somme d'argent ou obligation est exigée, est devenu aliéné, idiot, sourd et muet, aveugle ou personne infirme en raison de quelque cause non existante ou non apparente au moment du départ (p.37)
La Loi de l'immigration de 1869 joue un rôle capital dans l'histoire du critère déficience car ce fut la première loi fédérale à imposer les paramètres d'admission ou de non admission au pays. Cette loi visait les éventuels problèmes de sécurité publique et de maladies transmissibles et établissait des restreintes en cas de « fardeau excessif » quant à la dépendance sociale si « de l'avis du surintendant médical, une telle personne pouvait devenir permanemment une charge pour le public » (p.36). Cette première loi fédérale ne refusait pas catégoriquement l'entrée aux personnes handicapées. Elle visait plutôt les possibilités de sécurité publique, de santé publique et de dépendance sociale. Par conséquent, la personne qui ne posait aucun problème ni ne suscitait aucune inquiétude dans l'un de ces secteurs était pratiquement autorisée à entrer au Canada. Par exemple, auraient été admises les personnes qui handicapées seraient prise en charge par des membres de sa famille ou voyageaient avec des membres de leur famille. Également, la personne handicapée capable de prouver qu'elle avait un emploi ou des membres de sa famille au Canada, avait de bonnes chances d'obtenir l'autorisation d'immigrer. En d'autres mots, en ce qui a trait aux personnes handicapées, les premières lois de l'immigration imposaient des critères de restriction de leur admissibilité; mais plusieurs mécanismes sanctionnés par le gouvernement avaient toutefois été instaurés pour annuler ces restrictions. Si le critère de « fardeau excessif » est inscrit dans les lois de l'immigration depuis 1869, il semblerait néanmoins que l'admission des personnes handicapées au Canada était beaucoup plus facile dans le passé qu'elle ne l'est actuellement en vertu des lois en vigueur. En fait, le traitement appliqué aux immigrants handicapés ne différait pas trop de celui appliqué aux immigrants valides. L'autorisation d'immigrer était accordée si la personne avec des déficiences pouvait prouver qu'elle était capable de subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille ou si sa famille était capable de la prendre en charge en ce qui a trait aux soins et à l'entretien.
1906 : Acte concernant l'immigration et les immigrants
Ce n'est que quarante ans plus tard, environ, que fut modifiée la Loi de l'immigration. Si elle de différait pas beaucoup de la Loi de 1869, la Loi de 1906 élargissait la catégorie des « déficients » qui risquaient de se voir refuser l'entrée au pays. Ainsi, l'article 26 de la Loi stipulait :
Il n'est permis de débarquer en Canada à nul immigrant qui est faible d'esprit, idiot, épileptique, ou qui est dément ou a subi deux ou plusieurs attaques d'insanité dans les cinq ans; ne peut non plus être débarqué nul immigrant qui est sourd et muet ou muet, aveugle ou infirme, à moins qu'il n'appartienne à une famille qui l'accompagne ou qui est déjà au Canada et qui donne garantie suffisante aux yeux du Ministre et en conformité des règlements à cet égard, s'il en est, de le supporter à perpétuité, s'il lui est permis d'entrer en Canada. (Lois du Canada, article 26, juillet 1906, p.1741)
Comme l'indique la description ci-dessus, à l'instar de la Loi de l'immigration de 1969, la Loi ne 1906 n'interdisait pas automatiquement l'entrée aux personnes handicapées. Pareillement, les éventuels problèmes de dépendance sur le secours public y étaient nettement visés. Il est d'autre part évident que la Loi accordait à certains groupes de personnes handicapes d'amerrir au Canada et d'y demeurer tant que des membres de la famille étaient susceptibles de les prendre en charge ou que les dits immigrants handicapés étaient en mesure de subvenir à leurs besoins. La Loi de l'immigration de 1906 autorisait la réunification des familles tant que les membres de la famille résidant au Canada s'engageaient à couvrir les frais des mesures de soutien requises. (Lois du Canada, juillet 1906).
Malgré les nombreuses similarités entre les Lois de 1869 et 1906, un changement important avait été intégré dans la dernière Loi de l'immigration; il s'agissait de la définition du mot immigrant. Ainsi, dans la Loi de 1906, cette définition se lisait :
L'expression « immigrant » signifie tout voyageur et passager d'entrepont ou tout individu dit « work-a-day » qui gagne son passage à travailler sur un navire, qu'il soit ou non inscrit comme membre de l'équipage, après que le navire a quitté le premier ou le dernier port de partance, tout passager des premières ou passager des secondes classes, toute personne qui, après avoir été membre de l'équipage, est à l'examen, constatée appartenir à une catégorie quelconque d'individus, susceptibles d'être exclus du Canada. (p.1709)
La Loi de l'immigration de 1906 établissait une importante distinction entre les passagers, selon leur situation économique et sociale. Elle stipulait notamment que tous les passagers d'entrepont ou les voyageurs travaillant pour gagner leur passage ou les passagers des secondes classes étaient considérés comme immigrants. La Loi précisait aussi la catégorie de personnes susceptibles d'être exclues du Canada. Et cela visait notamment les personnes ayant un casier judiciaire, les pauvres, les personnes ayant des déficiences physiques et mentales ainsi que les individus n'appartenant pas à ces groupes mais n'ayant pas les moyens financiers d'acheter un billet de première classe (Lois du Canada, 1906).
Il est évident, en ce qui a trait à la prise de décision éthique et à l'autorisation d'immigrer accordée aux personnes handicapées, que les lois de l'immigration du Canada ont été biaisées depuis le début du 20ème siècle. La Loi de 1906 traduisait par exemple le préjugé de la société canadienne du début du 20ème siècle et la définition « catégorie d'immigrants » était fortement stigmatisée. Il semble en fait que les personnes et familles aisées, émigrant de la Grande-Bretagne ou de l'Europe, n'étaient pas classifiées d'émigrants. Par conséquent, une personne handicapée et sa famille voyageant en première classe ne seraient probablement pas soumises à examen. Ainsi, la personne ne serait pas inscrite dans les statistiques comme étant une personne handicapée ni, conformément à la définition d'immigrant, n'apparaitrait pas comme immigrante sur le rapport du capitaine du navire. Il appert donc que des personnes handicapées appartenant à des familles aisées n'aient pas été rapportées au surintendant médical et soient entrées au Canada sans être soumises à examen.
1910 : Loi concernant l'immigration
La Loi concernant l'immigration de 1910 maintenait les mêmes critères mais définissait plus directement les groupes qui se verraient refuser l'entrée au Canada. Pour la première fois, le concept de « catégories de personnes interdites » était précisé et englobait les groupes suivants :
Nul immigrant, passager, voyageur, ni autre personne, à moins qu'il ne soit citoyen du Canada ou ait un domicile au Canada, n'est admis à entrer en Canada, ou, s'il y est débarqué ou y est entré, n'est admis à y rester, s'il appartient à l'une des catégories suivantes, ci-après désignées par l'expression « catégories de personnes interdites », savoir : les idiots, imbéciles, faibles d'esprit, épileptiques, déments et personnes qui ont eu des attaques d'insanité dans les cinq ans; les personnes affligées d'une maladie repoussante ou d'une maladie qui est contagieuse ou infectieuse ou qui peut devenir dangereuse pour la santé publique, soit que ces personnes aient l'intention de s'établir au Canada ou seulement de passer par le Canada pour aller dans un autre pays : mais si la maladie est guérissable dans un délai relativement court, ces personnes peuvent, subordonnément au règlement établi à ce sujet, s'il en est, recevoir la permission de rester à bord à défaut d'infirmerie ou d'hôpital à terre, ou de quitter le navire pour se faire traiter.
Les immigrants qui sont muets, aveugles ou autrement affligés de quelque défaut physique, à moins que de l'avis d'un conseil d'enquête ou d'un fonctionnaire agissant en cette qualité, ils aient assez d'argent, ou aient une profession, une occupation, un commerce, un emploi ou un autre moyen légitime de gagner leur vie qui ne les exposent pas à devenir un fardeau pour le public, ou, à moins qu'ils n'appartiennent à une famille qui les accompagne ou qui est déjà en Canada et qui donne garantie suffisante aux yeux du Ministre que ces immigrants ne deviendront pas un fardeau pour le public; (Lois du Canada, 1910, p.216 à 217)
La Loi concernant l'immigration de 1910 se basait sur les loi précédentes et renforçait les dispositions stipulées dans les Lois de l'immigration de 1869 et de 1906. À l'instar des lois précédentes, l'Acte de 1910 incluait des modalités sur la propagation de maladies contagieuses ainsi que sur la dépendance sociale. Un virage important a néanmoins été effectué, traduit par la distinction entre les catégories de personnes ayant des déficiences physiques et mentales ainsi que de personnes atteintes de maladies transmissibles. Ainsi, les personnes ayant une déficience mentale et celles atteintes d'une maladie transmissible étaient refusées alors que les personnes ayant une déficience physique bénéficiaient d'une certaine indulgence. En effet, la loi décrétait que les personnes physiquement handicapées qui avaient une profession ou un emploi ou un tout autre moyen légitime de gagner leur vie et qu'elles voyageaient avec leur famille ou qu'elles pouvaient financièrement être prises en charge par leur famille, seraient acceptées dans le pays.
….s'ils ont suffisamment d'argent, ou s'ils possèdent une profession ou occupation, un métier, emploi, ou autre moyen légitime de gagner leur vie, tel que vraisemblablement ils ne deviendront pas à la charge du public ou s'ils sont membres d'une famille qui les accompagne ou qui se trouve déjà au Canada et si la famille donne, au ministre, une garantie suffisante que ces immigrants ne deviendront pas à la charge du public. (Lois du Canada, 1910, p.11)
Tel que stipulé dans l'Acte concernant l'immigration de 1010, les personnes handicapées étaient autorisées à entrer au Canada si elles répondaient à certains critères. Il serait donc incorrect de soutenir que les lois canadiennes de l'immigration ont traditionnellement refusé l'accès aux personnes handicapées. Certes des restrictions ont été imposées comme le prouvent les rapports, mais ces dits rapports indiquent aussi que des modalités de tolérance ont été appliquées. Et elles étaient fondées sur la conviction que ces personnes, quelle que soit leur situation, seraient en mesure de subvenir à leurs besoins. Si elles n'en étaient pas capables, alors cette responsabilité devait être assumée par les membres de la famille. On peut donc comprendre que les préoccupations relatives au « fardeau excessif » ou, dans le libellé de l'époque, à « la dépendance sociale » soient au cœur même des premières lois canadiennes de l'immigration. Mais il est incorrect d'affirmer, comme l'ont fait certains auteurs, que les lois de l'immigration ont toujours refusé l'accès aux personnes handicapées.
1927 : Loi concernant l'immigration
La Loi de l'immigration, énoncée dans les Statuts révisés du Canada de 1927, apportait d'importantes modifications, les plus importantes depuis 1910. Les personnes handicapées faisaient toujours partie des « catégories de personnes interdites » mais cette catégorie refusée traduisait un important virage de l'idéologie appliquée aux personnes handicapées. En effet, si les critères concernant la santé publique, les maladies contagieuses et la dépendance sociale étaient maintenus, la Loi liait les « déficiences physiques et mentales » au comportement criminel et antisocial, comme le prouve la reclassification de la « catégorie refusés ». Ainsi, les personnes déficientes mentales, les personnes d'infériorité psychopathique, les malades, les personnes ayant des déficiences physiques et les illettrés étaient placés dans la « catégorie refusés » avec les prostitués, les proxénètes, les alcooliques, les mendiants, les vagabonds, les espions, les conspirateurs, les personnes préconisant le renversement du gouvernement et, et non des moindres, les criminels. (Statuts fédéraux du Canada, 1927).
Le lien établi dans la Loi de l'immigration entre la déficience physique et mentale et le comportement criminel et antisocial, révélait l'attitude manifestée, au début du 20ème siècle, par le public et les professionnels à l'égard des personnes handicapées. Sullivan et Snortum (1925) ont soutenu que « Cette attitude émane essentiellement sur deux notions : tout d'abord que les personnes handicapées sont économiquement incompétentes et, par conséquent, un fardeau pour la société et, ensuite, que le fait d'avoir un corps anormal tordu signifie avoir également un esprit tordu ou anormal. On croyait que les infirmes « développaient une perversion mentale au fur et à mesure de leur croissance, le plus grand problème préjudiciable à leur développement et à leur progression » (Discours présidentiel, juillet 1914, p.3). Le Dr Charles Jaegar, un éminent chirurgien orthopédiste américain du début du 20, décrit le caractère d'une personne ayant des troubles orthopédiques « lorsqu'il est désœuvré, il va rechercher du réconfort et de la compagnie dans les bars » (p.68).
En examinant la Loi de l'immigration de 1927, nous constatons que certaines catégories de personnes avec des déficiences faisaient l'objet d'une certaine indulgence, selon que leurs déficiences soient mentales ou physiques. Aucune modalité de tolérance n'était appliquée aux personnes ayant une déficience mentale, incluant « les idiots, imbéciles, faibles d'esprit, épileptiques, déments et personnes qui ont eu des attaques d'insanité au préalable » ainsi qu'aux personnes affligées de tuberculose ou d'une maladie repoussante ou d'une maladie contagieuse ou infectieuse ou pouvant s'avérer dangereuse pour la santé publique… » (Statuts révisés du Canada, 1927, p.11). En revanche, des modalités de tolérance étaient appliquées aux « immigrants muets, aveugles ou autrement physiquement handicapés » (Statuts révisés du Canada, 1927, p.11). À l'instar des lois précédentes, les principaux problèmes cernés dans la Loi étaient associés à la dépendance sociale. La Loi stipulait que les personnes ayant une déficience physique devaient avoir de l'argent, un métier, une profession, un emploi garanti ou une sécurité familiale (financière). La personne qui répondait à ces critères pouvait recevoir l'autorisation d'entrer au Canada (Statuts révisés du Canada, 1927); la Loi stipulait :
….s'ils ont suffisamment d'argent, ou s'ils possèdent une profession ou occupation, un métier, emploi, ou autre moyen légitime de gagner leur vie, tel que vraisemblablement ils ne deviendront pas à la charge du public ou s'ils sont membres d'une famille qui les accompagne ou qui se trouve déjà au Canada et si la famille donne, au ministre, une garantie suffisante que ces immigrants ne deviendront pas à la charge du public. (p.11)
Outre ces modalités de tolérance pour certains groupes de personnes handicapées, la Loi de 1927 prévoyait aussi une certaine tolérance pour les personnes cataloguées d'illettrées. La personne jugée incapable de lire la langue française ou la langue anglaise ou le dialecte pour lequel elle était évaluée, pouvait quand même être admise au Canada si un membre de sa famille était capable de lire ou d'écrire ou avait déjà sa citoyenneté. Ainsi, la Loi de l'immigration de 1927 stipulait qu'une personne admissible ou un citoyen « pouvait faire entrer ou envoyer chercher son père, son grand-père, sa mère, sa grand-mère, sa fille non mariée ou veuve, s'ils sont autrement admissible; et qu'il sache lire ou non, ce parent sera autorisé à entrer. » (Statuts révisés du Canada, 1927, p.13)
Tel que stipulé dans la Loi de l'immigration de 1927 et dans les lois précédentes, les personnes physiquement handicapées étaient autorisées à entrer au Canada si elles répondaient à certains critères. Il serait donc incorrect de soutenir que les lois canadiennes de l'immigration ont traditionnellement refusé l'accès aux personnes handicapées. Certes des restrictions ont été imposées comme le prouvent les rapports, mais ces dits rapports indiquent aussi que des modalités de tolérance ont été appliquées. Et elles étaient fondées sur la conviction que ces personnes, quelle que soit leur situation, seraient en mesure de subvenir à leurs besoins. Si elles n'en étaient pas capables, alors cette responsabilité devait être assumée par les membres de la famille. Il semble que les politiciens fédéraux, provinciaux et municipaux et la population en général ne voulaient pas mettre en vigueur et appuyer des programmes visant à assurer une assistance générale aux personnes incapables de subvenir à leurs besoins et/ou à ceux de leur famille. On peut donc comprendre que les préoccupations relatives au « fardeau excessif » ou, dans le libellé de l'époque, à « la dépendance sociale » soient au cœur même des premières lois canadiennes de l'immigration.
1947 : Loi portant sur la citoyenneté, la nationalité et la naturalisation ainsi que le statut des étrangers.
Selon l'examen de l'histoire de l'immigration au Canada, entre les années 1860 et 1960, la plupart des partis politiques et des gouvernements fédéraux n'ont pas accordé beaucoup d'importance aux règlements d'immigration. En fait, ce secteur relevait souvent des ministères comme l'agriculture, les mines et ressources et le travail. De plus et jusqu'après la Deuxième guerre mondiale, les lois de l'immigration n'ont été peu modifiées. Les modifications les plus importantes apportées après la Deuxième guerre mondiale à la loi de l'immigration ne visaient nullement les articles relatifs aux personnes handicapées. Ces articles contenaient d'ailleurs les mêmes modalités que celles adoptées à titre de modifications de la Loi de l'immigration de 1910.
Le gouvernement du Canada adopta la Loi sur l'immigration en 1947. Elle devenait un point marquant dans l'histoire du pays. En effet, pour la première fois, la Loi portant sur la citoyenneté, la nationalité et la naturalisation ainsi que le statut des étrangers accordait au Canada le droit de contrôler ses lois sur l'immigration. Avant 1947, la Chambre du Parlement de la Grande Bretagne avait le dernier mot en ce qui a trait aux lois canadiennes d'immigration et, jusqu'à cette époque-là, les citoyens canadiens étaient considérés comme des sujets britanniques.
Autre élément important de cette Loi portant sur la citoyenneté, la nationalité et la naturalisation ainsi que le statut des étrangers, c'était l'abrogation de la Loi de l'immigration chinoise de 1928. En annulant cette loi, le Canada tentait pour la première fois de mettre fin à toute une histoire de racisme. Mais aucune modification n'a été apportée pour la « discrimination fondée sur la capacité physique ». Si les politiciens s'ingéniaient à vouloir à mettre un terme à des règlements d'immigration ouvertement racistes, ils ne semblaient pas se préoccuper des autres formes de discrimination. En fait, certains d'entre eux soutenaient même qu'en matière d'immigration, différencier certains groupes était tout à fait justifiable. Le Premier Ministre MacKenzie King a même affirmé que le Canada avait le droit de déterminer à qui attribuer ou non la citoyenneté.
La discrimination a été longtemps invoquée lors de la sélection des immigrants. Je tiens toutefois à préciser que le Canada a le droit de choisir les personnes jugées désirables comme futurs citoyens. Émigrer au Canada n'est pas un droit fondamental de la personne. C'est un privilège. C'est une question de législation interne. L'immigration est soumise au contrôle du Parlement du Canada. (Rapport officiel des débats de la Chambres des communes du Dominion du Canada, 1947, Vo. III, p.2646).
Il est fort probable que les personnes handicapées n'étaient pas jugées « désirables comme futurs citoyens ». Les débats parlementaires de l'époque regorgent d'exemples discrimination politique à l'égard des personnes handicapées. Ainsi, le député fédéral Winkler a demandé à l'honorable James Allison Glen, ministre des Mines et des ressources « Est-ce que le gouvernement tient compte des cas de familles complètes désirant émigrer au Canada mais dont un membre, handicapé suite à une blessure de guerre, n'est pas jugé physiquement admissible et, une fois les obligations payées et garanties de non dépendance publique fournies, accorde à la personne handicapée le droit d'entrée au pays en même temps que les autres membres de sa famille? Le ministre Glenn a répondu en conséquence ….' Aucun immigrant, aucun passager…personne ne sera autorisé à entrer ou amerrir au Canada ….ni à y rester s'il/elle appartient à l'une des catégories suivantes appelées « catégories de personnes interdites »
Les immigrants qui sont muets, aveugles ou autrement affligés de quelque défaut physique, à moins que de l'avis d'un conseil d'enquête ou d'un fonctionnaire agissant en cette qualité, ils aient assez d'argent, ou aient une profession, une occupation, un commerce, un emploi ou un autre moyen légitime de gagner leur vie qui ne les exposent pas à devenir un fardeau pour le public, ou, à moins qu'ils n'appartiennent à une famille qui les accompagne ou qui est déjà en Canada et qui donne garantie suffisante aux yeux du Ministre que ces immigrants ne deviendront pas un fardeau pour le public (Rapport officiel des débats de la Chambres des communes du Dominion du Canada, 1947, Vo. III, p.464)
Aucun changement important visant les personnes handicapées n'avait été apporté à la Loi de l'immigration; les modalités relatives aux fonds suffisants, à la capacité de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille ou la capacité d'être pris en charge par la famille, déjà intégrées dans les lois de 1848 et de 1969, avaient été maintenues dans la Loi de l'immigration de 1947. De plus, les dispositions relatives aux catégories de personnes interdites, adoptées avec la Loi de 1910, on continué à influencer les règlements d'immigration jusqu'à 1947 et bien plus tard encore. Comme l'a déclaré le Premier Ministre MacKenzie King « Le Canada a le droit de choisir les personnes jugées désirables comme futurs citoyens. » (Rapport officiel des débats de la Chambres des communes du Dominion du Canada, 1947, Vo. III, p.2646). Il est toutefois important de noter que même si le gouvernement a fini par contrôler l'immigration en 1947 et a décidé d'instaurer des règlements visant à corriger les traditionnelles pratiques de discrimination exercées depuis fort longtemps, il n'a jamais cherché à réformer les dispositions appliquées aux personnes avec des déficiences. Il a au contraire décidé de maintenir la clause des catégories de personnes interdites sur laquelle les pratiques d'immigration ont été exercées jusqu'à ce jour et, à plusieurs reprises.
1952 : la Loi concernant l'immigration
Si la Loi portant sur la citoyenneté et l'immigration de 1947 a joué un rôle important dans l'éradication des pratiques discriminatoires exercées à l'égard des Chinois et a aidé le Canada à contrôler son système d'immigration par rapport à l'Angleterre, ce n'est qu'en 1952 que la Loi concernant l'immigration apportera les modifications les plus importantes. Toutefois, et malgré ces importantes modifications, en ce qui concerne l'admissibilité des personnes handicapées, les Lois de 1910 et de 1952 ne diffèrent que peu. Ainsi, les catégories de personnes interdites sont évoquées dans l'article 5 de la Loi concernant l'immigration de 1952 qui se lit :
(a) Les individus qui sont idiots, imbéciles ou faibles d'esprit ou aliénés ou, qui dans le cas d'immigrants, l'ont été à quelque époque, qui sont atteints de psychopathie constitutionnelle ou, s'il s'agit d'immigrants, qui sont atteints d'épilepsie.
(b) les personnes atteintes de tuberculose, sous quelque forme que ce soit, de trachome ou d'une maladie contagieuse ou infectieuse ou d'une maladie quelconque susceptible de constituer une menace pour la santé publique mais, si cette maladie en est une qui soit curable dans une période de temps raisonnablement courte, il peut être permis aux personnes atteintes d'entrer au Canada pour y être traitées, sous réserve des règlements qu'on peut édicter à cet égard;
(c) les immigrants qui sont muets, aveugles ou autrement déficients au point de vue physique, sauf :
(i) s'ils ont des moyens de subsistance suffisants ou s'ils possèdent une profession ou occupation, un métier, emploi, ou autre moyen légitime de gagner leur vie, tel que vraisemblablement ils ne deviendront pas à la charge du public, ou sauf
(ii) s'ils sont membres d'une famille qui les accompagne ou qui se trouve déjà au Canada et si la famille donne une garantie suffisante que ces immigrants ne deviendront pas à la charge du public. D'autres éléments de la Loi sur l'immigration, refusant l'entrée aux personnes handicapées, incluaient aussi l'alinéa « s » de l'article 5, stipulant :
(s) les personnes non comprises dans quelque autre catégorie interdite, qu'un médecin déclare, par certificat, mentalement ou physiquement anormales à un degré qui compromet gravement leur aptitude à gagner leur vie.
(Lois du Parlement du Canada, 1952, sixième session du vingt-et-unième Parlement, Chapitre 42, article 5, pages 238 à 241).
En ce qui a trait aux personnes handicapées, la Loi de 1952 ne divergeait pas du lignage de catégories de personnes interdites, établi en 1910 et basé sur les protocoles instaurés dès 1869. Des inquiétudes justifiées quant à la santé et à la sécurité publiques s'ajoutaient aux sempiternelles préoccupations liées à la dépendance sociale et à la non-contribution citoyenne des personnes handicapées, ainsi stigmatisées.
1966 : Le Livre blanc sur l'immigration
Entre le début des années 1960 et la fin des années 1970e Canada connut ses avancées les plus progressistes de son histoire. C'est à cette époque-là que naquirent le système national de soins médicaux, le bilinguisme/biculturalisme et le Régime de pensions du Canada. Au cours des années 1960, le gouvernement fédéral entreprit une profonde étude su système d'immigration, qui se solda par la parution, en 1966, du Livre blanc sur l'immigration, l'un des documents les plus détaillés et les plus approfondis des lois de l'immigration, depuis la fin des années 1860 jusqu'à la fin des années 1960. Ce Livre blanc regroupait plusieurs propositions de réformes légales; de nombreuses composantes, notamment des facteurs économiques, le recrutement et la provenance des immigrants; les procédures de sélection et de commandites; les facteurs sociaux et culturels; les aspects humanitaires, les implications internationales, la déportation et les appels, la clause « à la discrétion du ministre », le contrôle sécuritaire, les catégories de personnes admissibles et de personnes interdites, y étaient examinées (Livre blanc, 1966). Plusieurs des résultats de cette étude ont été incorporés dans la Loi sur l'immigration de 1967, reconnue pour avoir introduit d'un système de points pour évaluer les demandes soumises par les candidats à l'immigration.
Cinquante-six ans ont passé après la codification en 1910 des catégories de personnes interdites. Le Canada a vécu deux guerres, la Grande Crise, le développement d'un moderne État-providence et la mise sur pied de l'assurance-maladie publique. Le Livre blanc sur l'immigration pourrait être perçu comme progressiste dans plusieurs domaines, mais en ce qui a trait aux personnes handicapées, il n'a fait que perpétuer les anciens mythes et réappliquer le libellé des premières lois. Les personnes avec des déficiences étaient encore intégrées dans les catégories de personnes interdites, de concert avec les criminels, les narcotrafiquants, les prostitué(e)s ainsi que les « membres des organisations subversives, les espions, les saboteurs et toute une gamme de personnes moralement ou socialement indésirables, y compris les fardeaux pour l'État. » (p.24)
Les auteurs du Livre blanc reconnaissaient d'importantes avancées dans le domaine médical et recommandaient de modifier les indicateurs utilisés depuis 1910 pour reléguer les particuliers dans les catégories interdites, puisque ces classifications ne reflétaient pas les progrès scientifiques et médicaux de l'époque. Selon le Libre blanc, les contingentements dans les catégories de personnes interdites, basés sur une stricte application des dispositions relatives aux déficiences physiques et mentales, ne devaient plus être autorisés. Les demandes d'immigration, ajoutait-on, ne devraient pas être refusées lorsque la déficience ou la maladie étaient sous contrôle; « une maladie guérie ou contrôlée au point de ne représenter aucune menace pour la santé ou la sécurité du public, ne devrait en aucun cas faire obstacle à une admission temporaire ou permanente. Aucune déficience physique ou mentale ne devrait être interdite à cette fin, à moins qu'elle ne représente un danger pour la société ou ne fasse pas l'objet de soins privés. » (p.25)
Malgré une certaine libéralisation de la loi en ce qui a trait aux pouvoirs discrétionnaires des médecins, la catégorie de personnes interdites ne fut pas beaucoup modifiée et les personnes handicapées y furent plus que jamais reléguées. Selon l'article 63 du Livre blanc stipule :
En résumé, sans entrer dans des détails juridiques, l'intention première du gouvernement est d'interdire aux personnes relevant des catégories suivantes d'entrer au Canada comme immigrants :
(a) Les personnes atteintes de maladie mentale ou physique pouvant constituer un danger pour la santé ou la sécurité du public; (b) les personnes ayant une incapacité mentale ou physique à moins qu'elles ne soient membres d'une famille autrement admissible et bien prises en charge; (c) les criminels déclarés coupables d'un crime ou ayant confessé avoir commis un crime ou des fugitifs; (d) des trafiquants de drogue ou des toxicomanes; (e) les espions, les saboteurs ou les personnes projetant des activités subversives; les prostituées, les entremetteurs, les souteneurs, les joueurs professionnels, les escrocs et les personnes habituellement à la charge du public; (g) les personnes tentant de contourner les procédures d'immigration, cherchant des emplois illégaux ou non autorisés ou communiquant de faux renseignements ou des informations trompeuses sur elles-mêmes ou sur leurs intentions; () des marins ayant déserté leurs navires. (p.26 et 27).
En résumé, les auteurs du Livre blanc recommandaient une certaine souplesse, grâce à laquelle certaines personnes handicapées étaient dégagées des catégories de personnes interdites et obtenaient l'autorisation d'immigrer. Cette tendance était basée sur l'importance des changements médicaux et scientifiques, non intégrés dans les lois préalables sur l'immigration. Ainsi, alors que les lois précédentes interdisaient l'accès uniquement pour motif de déficience mentale ou physique, les auteurs du Livre blanc préconisaient l'admission lorsque l'état de santé était garanti et que la personne ne constituait pas de danger pour la santé du public. L'article 58 du Livre blanc stipulait : « Les personnes démentes ou souffrant de maladies contagieuses ou infectieuses ne devaient être admises comme immigrantes ou non immigrantes à moins que leur arrivée au Canada ne fasse l'objet d'un arrangement préalable et qu'elles aient un traitement avec de rigoureuses mesures de protection. Toutefois, une maladie guérie ou contrôlée au point de ne représenter aucune menace pour la santé ou la sécurité du public, ne devrait en aucun cas faire obstacle à une admission temporaire ou permanente. Aucune déficience physique ou mentale ne devrait être interdite à cette fin, à moins qu'elle ne représente un danger pour la société ou ne fasse pas l'objet de soins privés. » (p.24 et 25), Malgré ces recommandations, les médecins influaient souvent sur la volonté de souplesse. De ce fait, les pouvoirs discrétionnaires et ladite souplesse étaient pratiquement subjectifs. En effet, les fonctionnaires médicaux contrôlaient l'admission au Canada et les personnes handicapées étaient à leur merci. Le libellé utilisé pour décrire les catégories de personnes interdites est quasiment le même que celui utilisé dans les lois précédentes; et les personnes handicapées, comme dans le passé, étaient encore et toujours reléguées dans la même catégorie que les criminels, les prostitués, les éléments subversifs, les toxicomanes et les souteneurs ainsi que les mendiants et les vagabonds. En fait, les personnes handicapées représentaient quatre des vingt sous-catégories de personnes interdites.
1967 : Modification à la Loi sur l'immigration
Après son enquête sur l'immigration, publiée dans le Livre blanc de 1966, le gouvernement du Canada décida en 1967 de modifier la Loi sur l'immigration et introduisit un « système de points ». Il s'agissait d'un programme établissant les paramètres de sélection des immigrants les plus désirables. Chaque candidat à l'immigration était évalué en fonction d'un barème et ceux qui obtenaient le plus grand nombre de points étaient considérés aux fins d'immigration. En d'autres mots, les candidats ayant le plus fort pointage étaient prioritaires tandis que ceux ayant le plus faible pointage l'étaient beaucoup moins. De plus, en vertu de la Loi sur l'immigration de 1967, tous les candidats à l'immigration devaient répondre à certains critères, notamment :
- connaissaient l'une ou l'autre des langues officielles du Canada (l'anglais ou le français)
- n'étaient ni trop vieux ni trop jeunes pour trouver des emplois stables
- avaient un emploi qui les attendait au Canada
- avaient un parent ou un membre de la famille qui résidait déjà au Canada
- possédait une bonne éducation et une bonne formation et/ou un métier
- étaient prêts à émigrer vers une région touchée par un taux de chômage élevé.(Le Canada en devenir, p.8)
Fait intéressant, le système de points ne s'est pas appliqué et ne s'applique toujours pas aux personnes handicapées; et l'autorisation d'émigrer au Canada peut leur être refusée même si elles répondent à tous ces critères. Il est évident, du point de vue éthique, qu'au cours de cette période de libéralisation des politiques d'immigration, ces changements radicaux et progressistes ne visaient surtout pas les personnes avec des déficiences. À l'instar des lois précédentes, la Loi sur l'immigration de 1967 était discriminatoire pour motif de capacité physique. Ainsi, alors que les auteurs du Livre blanc recommandaient que la déficience ne soit pas le seul facteur décisif d'autorisation d'immigrer au Canada, les personnes handicapées ont continué à être classées dans la catégorie des personnes interdites. La sempiternelle conviction de dépendance sociale a toujours été un obstacle important pour les personnes avec des déficiences qui semblent être toujours évaluées selon leur incapacité et non leur capacité d'action. À cet égard, les lois sur l'immigration étaient basées sur un « utilitarisme » économique où les personnes handicapées n'avaient que peu d'importance étant donné leur capacité de productivité économique.
Le Livre vert de 1975 : Rapport sur l'immigration au Canada et étude démographique
En 1974, le gouvernement fédéral du Canada commença à examiner les règlements d'immigration et à en débattre. Mais la Loi ne fut amendée qu'en 1976. La majorité des modifications découlaient d'ailleurs des résultats du « Livre vert » de 1975, intitulé Rapport sur l'immigration au Canada et étude démographique. Bien qu'à l'époque, le Livre vert de 1975 ait été reconnu comme un document de libéralisation des lois sur l'immigration – notamment des lois visant l'immigration des réfugiés, la réunification familiale, le parrainage de membres de la famille et la mise en vigueur de services pour les nouveaux immigrants -, il n'assouplissait nullement les lois visant les personnes avec des déficiences. En effet, le Livre vert comportait une section intitulée « Catégories de personnes interdites » dans lesquelles les personnes handicapées étaient une fois de plus reléguées, comme auparavant. Parmi les qualifications qui leur étaient accolées, notons « troubles de la santé de la personne, risquant de menacer la santé des Canadiens ou provoquant une incapacité à prendre soin d'elle-même au Canada. » Autre facteur affectant les personnes handicapées « la possibilité de devenir un fardeau économique pour le Canada. » (Livre vert, p.174).
Si les inquiétudes relatives aux maladies contagieuses et à la dépendance sociale étaient maintenues dans le Livre vert, les indicateurs de santé avaient été toutefois assouplis. Ainsi, les auteurs de ce Livre recommandaient que les personnes épileptiques ne soient plus incluses dans la catégorie des personnes interdites puisque, grâce aux progrès médicaux, des mécanismes de contrôle de l'épilepsie avaient été instaurés. « Par conséquent, l'interdiction absolue visant les immigrants épileptiques est à présent désuète puisque l'épilepsie peut facilement être contrôlée par des médicaments. » (p.148). Mais les règlements contrôlant les autres groupes de personnes handicapées afin de les rendre inadmissibles n'ont pas changé.
1976 : Loi portant sur l'immigration au Canada
La Loi sur l'immigration de 1976, Loi portant sur l'immigration au Canada, a obtenu la sanction royale le 5 août 1977. Malgré la libéralisation apportée aux règles d'immigration, les personnes handicapées ont continué à être exclues. La catégorie de « personnes interdites », en vigueur depuis 1910 a été supprimée et remplacée par une catégorie non moins offensante, celle des « personnes non admissibles ». Certes, les qualifications du style déficients physiques, déficients mentaux, idiots, imbéciles, faibles d'esprit ont été supprimés des libellés d'immigration et les personnes épileptiques furent retirées des catégories de personnes non admissibles; mais aucun avantage à long terme n'a été ajouté pour les personnes avec des déficiences. Et comme pour les catégories de personnes interdites dont furent issues les catégories de personnes non admissibles, les personnes handicapées se retrouvèrent sur le même plan que les dépendants sociaux, les criminels, les espions et les subversifs. En fait, si le libellé avait changé, les répercussions juridiques sur les personnes handicapées et leur familles sont restées les mêmes.
Article 19. (1) Ne sont pas admissibles les personnes souffrant d'une maladie, d'un trouble, d'une invalidité ou autre incapacité pour raison de santé, dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin, conclut, qu'elles constituent ou pourraient constituer un danger pour la santé ou la sécurité publiques, ou que leur admission entraînerait ou pourrait vraisemblablement entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé; les personnes au sujet desquelles il existe de bonnes raisons de croire qu'elles ne peuvent, ne veulent, ne pourront ou ne voudront subvenir ni à leurs besoins ni à ceux des personnes à leur charge, à l'exception de celles qui ont établi à la satisfaction d'un agent d'immigration que des mesures adéquates ont été prises pour assurer leur soutien; (p.1205)
Il est important de noter que c'est dans cette Loi sur l'immigration de 1976 que l'on retrouve les prémisses de « la clause de fardeau excessif ». Cette Loi ne stipulait pas expressément que les personnes handicapées ne pouvaient pas soumettre de demande d'immigration; mais la clause de fardeau excessif les empêchait carrément de le faire.
2011 : Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, connue sous le titre de Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés
Le gouvernement fédéral a modifié la Loi sur l'immigration en 2001 et depuis, c'est ce nouveau texte qui régit les pratiques d'immigration. La volonté de modifier ces lois qui historiquement avaient exercé une distinction illicite pour motif d'âge, de race, de religion, d'ethnicité et d'orientation sexuelle, avait progressé à pas de géant; la loi conférait aussi une protection accrue aux réfugiés. Si la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés avait maximisé l'arrivée éventuelle d'immigrants, elle n'avait en aucun cas amélioré la situation des personnes handicapées. En effet, aussi répugnant que puissent être les termes comme déficient physique, déficient mental, idiot, faible d'esprit et aussi restrictives qu'étaient les catégories de personnes interdites, il semble que l'actuelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ait maximisé et non restreint les réserves concernant les personnes handicapées. Ainsi, les pouvoirs discrétionnaires des médecins et autres agents d'immigration, stipulés dans les lois préalables, y compris le pouvoir d'autoriser les personnes handicapées à entrer au pays, sont devenus désuets suite à la clause de « fardeau excessif » de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
« Fardeau excessif » implique :
« a) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé et pour les services sociaux sur une période de cinq années consécutives suivant la plus récente visite médicale exigée par le présent règlement ou, s'il y a lieu de croire que des dépenses importantes devront probablement être faites après cette période, sur une période d'au plus dix années consécutives; b) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé qui viendrait allonger les listes d'attente actuelles et qui augmenterait le taux de mortalité et de morbidité au Canada vu l'impossibilité d'offrir en temps voulu ces services aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents. » (Lois du Canada, 2001, p.39).
Les médecins et les agents d'immigration se prévalent souvent du libellé de la clause de fardeau excessif, - confirmant les inquiétudes d'utilisation abusive des services sociaux et de santé ainsi que la crainte de prolongation des périodes d'attente pour les citoyens canadiens -, pour rejeter les demandes d'immigration des personnes handicapées. De plus, au titre de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, les personnes handicapées et les membres de leurs familles sont toujours relégués dans la catégorie de la catégorie de personnes inadmissibles, ce qui limite en outre les possibilités d'immigration (Lois du Canada 2001, Section Quatre, articles 34 à 41).
Certes, les lois actuelles sur l'immigration ne stipulent pas directement que les personnes handicapées sont frappées d'une interdiction de territoire ; une telle déclaration les empêchant d'entrer au Canada irait, en effet, à l'encontre des dispositions des droits de la personne qui protègent les personnes avec des déficiences. En fait, la permission d'immigrer et d'obtenir le statut de citoyen canadien est le plus souvent refusée aux personnes handicapées pour motifs d'inadmissibilité et de fardeau excessif. Il est en effet prouvé que les refus d'autorisation d'entrer au Canada ou d'y demeurer, vécus par de nombreuses personnes handicapées, ont été fondés sur la disposition de « fardeau excessif ». Le cas de la famille Chapman d'Angleterre illustre nettement l'histoire de ces expulsions du Canada à cause d'un membre handicapé. Le 9 août 2009, le quotidien britannique The Daily Mail titrait « Emigrating British family turned away from Canada because their daughter, 7, is disabled » http://www.mailonsunday.co.uk/news/worldnews/article-1042628/Emigrating-British-family-turned-away-Canada-daughter-7-disabled.html). Le couple britannique et leurs deux enfants, avaient acheté une maison et voulaient démarrer une entreprise en Nouvelle-Écosse. On les a avisés, au cours du processus d'immigration, qu'ils ne pourraient demeurer au Canada car leur petite fille était atteinte du Syndrome d'Angelman (un trouble sévère du développement). Et même si leur fillette n'avait besoin d'aucun service médical ni de médicament, l'autorisation de demeurer au Canada leur a été refusée à cause des éventuelles et futures demandes de services de santé. Mme Chapman, 42 ans, a raconté avoir répondu à la question « Pourquoi avez-vous amené votre fille dans ce pays? », « et pourquoi ne l'aurais-je pas fait? » Parce que la petite Lucy étant handicapée, faisait l'objet d'une interdiction d'entrer à vie. En e pays aussi avant-gardiste qu'était le Canada en 2008, refusait la résidence permanente à ma fillette, tout simplement parce qu'elle avait une déficience. » http://www.mailonsunday.co.uk/news/worldnews/article-1042628/Emigrating-British-family-turned-away-Canada-daughter-7-disabled.html) Les parents ont argumenté, soutenant avoir les moyens financiers de prendre soin de leur enfant et de ne pas avoir l'intention de solliciter une aide quelconque, quelle qu'elle soit. Ils étaient tous deux officiers de police retraités, avaient acheté une maison en Nouvelle Écosse afin d'y résider une fois le statut d'immigrant accordé et envisageaient de créer une entreprise à Dartmouth. Malgré leur situation financière et leur promesse de ne pas solliciter les services médicaux et sociaux pour leur fille, le couple et leurs deux enfants ont dû rentrer en Angleterre.
Adelkader Belanouni, un réfugié algérien malvoyant, a été frappé d'un ordre de déportation alors qu'en janvier 2006, il s'était réfugié en sanctuaire dans l'Église Saint Gabriel de Montréal (http://www.soutienpourkader.net/en/index.php) M. Belaouni a été obligé de rester dans l'église pendant plus de trois ans mais, grâce à l'aide de sa famille et de ses amis, l'ordre de déportation a été révoqué l'an passé. Malheureusement, d'autres personnes handicapées comme Chris Mason n'ont pu faire annuler l'ordre d'expulsion et ont dû quitter le Canada. M. Mason (36 ans) demeurait à Winnipeg, Manitoba. Suite à un accident de travail qui a affecté sa motricité, il a dû se déplacer en fauteuil roulant. Mais au moment de son accident de travail, M. Mason n'était pas encore citoyen canadien et sa demande de résidence permanente lui a été refusée. « Les agents de l'immigration ont émis un ordre de déportation en Angleterre, alléguant que M. Mason en pouvait bénéficier du statut de résident permanent puisque sa dépendance au fauteuil roulant exercerait un fardeau économique sur les contribuables. » " (http://www.cbc.ca/canada/manitoba/story/ 2009/01/15/disabled-deportation.html) M. Mason fut forcé de retourner en Angleterre où il a été placé dans un foyer de soins infirmiers, sans aucun accommodement d'accessibilité. (http://www.cbc.ca/canada/manitoba/story/2009/01/20/mason-uk.html).
Alors que d'éventuels immigrants comme la famille Chapman et Chris Mason se sont vu refuser le droit de résidence permanente, d'autres couples comme la famille Hilewitz d'Afrique du sud et la famille De Jong ont, après d'interminables procédures judiciaires, obtenu le droit de vivre au Canada. À cause de leurs enfants ayant des déficiences intellectuelles, ce deux familles ont vu leurs demandes d'immigration être refusées. En effet, les médecins qui avaient examiné et évalué leurs soumissions ont décrété, dans les deux cas, que la déficience intellectuelle des enfants créerait un fardeau excessif sur les services sociaux et de santé. Mais dans les deux cas, les parents ont rétorqué qu'ils avaient les moyens financiers de prendre soin de leur enfant et n'avaient nullement l'intention de solliciter l'aide du gouvernement. La Cour suprême du canada s'est prononcée en leur faveur et l'autorisation d'immigrer leur a été accordée. Les juges en faveur ont décrété que nonobstant la disposition de fardeau excessif de la Loi sur l'immigration, chaque cas devait être évalué à sa juste valeur.
Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) exige qu'on détermine si l'état de santé du demandeur entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Le terme « fardeau excessif » appelle intrinsèquement à l'évaluation et à la comparaison et indique que les médecins agréés doivent déterminer le fardeau probable pour les services sociaux, et non la simple admissibilité à ces services. Étant donné que, si l'on ne considère pas la capacité et la volonté du demandeur d'assumer le coût des services sociaux, il est impossible de déterminer d'une manière réaliste en quoi consistera le « fardeau », les médecins agréés doivent nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux. Cela exige des appréciations individualisées. Si le médecin agréé s'interroge sur les services susceptibles d'être requis en se fondant uniquement sur la classification de la maladie ou de l'invalidité, et non sur la façon précise dont elle se manifeste, l'appréciation devient générique plutôt qu'individuelle. L'évaluation des coûts est alors faite en fonction de la déficience plutôt qu'en fonction de l'individu. Le critère législatif est clair et correspond à une probabilité raisonnable, non à une faible possibilité. Il doit être probable, eu égard à la situation financière de la famille, que les éventualités envisagées se réaliseront. (Hilewitz c.Canada; De Jong c. Canada, 2005, 2005 CSC 57 (2005) 2 R.C.S. 706)
Et puisque les parents avaient les moyens financiers de prendre soin de leur enfant et étaient déterminés à le faire, l'autorisation d'immigrer devrait leur être accordée.
Par conséquent, la capacité et la volonté de H et de J de réduire le fardeau autrement susceptible d'être occasionné pour les fonds publics par la déficience intellectuelle de leurs enfants sont des éléments pertinents pour déterminer si l'admission de ces enfants risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Vu leurs ressources financières, H et J seraient vraisemblablement appelés à supporter une part substantielle, voire la totalité, des coûts afférents aux services sociaux fournis par la province d'Ontario, où ils souhaitent s'établir. Les craintes exposées dans le rejet des demandes quant à diverses possibilités (faillite, déménagement, fermeture d'école ou décès des parents) sont des éventualités qui pourraient être soulevées à l'égard de tout demandeur. En invoquant de telles éventualités pour nier la capacité et la volonté réelles d'une famille de supporter une partie du fardeau occasionné par la déficience d'un enfant, on se trouve à rattacher l'admissibilité d'un demandeur à des conjectures et non à la réalité. Dans les deux cas, les agents des visas ont commis une erreur en confirmant le refus des médecins agréés de prendre en considération l'incidence possible de la volonté des familles d'apporter leur soutien. (Hilewitz c.Canada; De Jong c. Canada, 2005 CSC 57 (2005) 2 R.C.S. 706)
Il est important de noter que certains juges de la Cour suprême ont émis des opinions dissidentes, estimant qu'il n'incombait pas à des médecins de déterminer si la famille avait ou non les moyens de subvenir aux besoins d'une personne à charge. Ils ont enfin conclu que la concordance aux critères d'immigration ne devrait pas être basée sur les avoirs d'une famille.
Si le législateur avait voulu prescrire aux médecins agréés de tenir compte du soutien familial ou de la capacité de payer, il aurait eu amplement l'occasion de le faire lorsqu'il a modifié les règles applicables en 1976. Tant la loi subséquente que les dispositions réglementaires et les directives internes semblent indiquer que seul doit être pris en considération l'état de santé du demandeur, et non sa capacité de payer. Qui plus est, le fait que le législateur se soit expressément demandé si le soutien familial était pertinent pour la détermination du fardeau excessif, et ait décidé de ne pas inclure ce facteur dans la Loi sur l'immigration ou les règlements donne fortement à penser qu'il ne voulait pas que la capacité de payer soit considérée comme un facteur pertinent. (Hilewitz c.Canada; De Jong c. Canada, 2005 CSC 57 (2005) 2 R.C.S. 706)
Si le jugement de la Cour suprême du Canada a aidé les familles De Jong et Hilewitz, il ne règle en rien les besoins des autres familles ayant des membres handicapés, désirant émigrer au Canada. La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, avec sa clause de « fardeau excessif », sous-tend encore les politiques et pratiques d'immigration au Canada. Elle n'a pas encore changé; et ce n'est que grâce à un permis ministériel que, dans la plupart des cas, des candidats handicapés ont reçu l'autorisation d'immigrer au Canada.
Conclusion
Depuis la moitié du 19ème siècle, les lois canadiennes sur l'immigration ont constamment étiqueté les personnes handicapées comme des étrangers indésirables. Profondément enracinées dans des pratiques discriminatoires à l'égard des personnes avec des déficiences, elles ont mis en exergue une construction sociale de la déficience, définie comme déviation négative de la soi-disant « norme de capacité ». Dans le cadre des lois canadiennes sur l'immigration, les personnes handicapées ont toujours été et sont encore perçues comme des victimes sans défense, des fardeaux pour leur famille, des coûts énormes pour l'État. Dans certains cas, selon la gravité de la déficience, elles ont été considérées comme de possibles risques pour la santé et la sécurité publiques. Ces concepts d'immigrants handicapés sont parfaitement bien traduits dans l'idéologie sous-tendant les catégories de « personnes interdites, inadmissibles et de fardeau excessif ». Le terme « interdit » est synonyme de « proscrit », banni, exclus. Le mot inadmissible peut être remplacé par inacceptable, non autorisé, non permis. Et enfin, « fardeau excessif » peut être utilisé pour décrire une demande extrême, non désirée, trop importante ou disproportionnée. En fait, les lois canadiennes sur l'immigration n'ont jamais valorisé les personnes avec des limitations fonctionnelles. Elles n'ont jamais impliqué, non plus, que ces personnes peuvent contribuer positivement à la société canadienne. Elles suggèrent au contraire que les personnes avec des déficiences grugeront les services en vigueur ou deviendront un fardeau.
En ce qui a trait aux personnes handicapées, les lois canadiennes n'ont pas été modulées en fonction des changements apportés pour les autres minorités. Ces lois ont été traditionnellement et honteusement racistes, sexistes, homophobes. Si elles ne font plus de distinction illicite pour motif de race, religion, ethnicité, culture, genre, orientation sexuelle, les lois actuelles exercent toujours une discrimination fondée sur la capacité physique et restreignent les possibilités d'immigration des personnes handicapées. Plus encore, ces lois se drapent fièrement dans le dogme de la diversité, mais n'y incluent pas les éventuels immigrants handicapés. Dans l'esprit comme dans la lettre, les personnes handicapées sont perçues comme des êtres de valeur inférieure et leurs limitations fonctionnelles comme un problème.
En fait, en ce qui a trait aux personnes handicapées, rien n'a vraiment changé depuis 140 ans. Certes le libellé actuel est plus acceptable car les législateurs n'utilisent plus des termes comme idiots, imbéciles, déments, déficients physiques, déficients mentaux pour décrire les personnes handicapées. Mais il faut joindre le geste à la parole et un changement linguistique n'élimine pas forcément la discrimination exercée à l'égard des ces personnes susceptibles d'immigrer au Canada et d'en devenir des citoyens à part entière. Au Canada, les lois de l'immigration sont enfin dégagées de toute idéologie ethnique, de racisme et d'homophobie. Mais elles exercent toujours de la discrimination fondée sur la capacité physique. Avec ses clauses sur les catégories de « personnes inadmissibles » et de « fardeau excessif », l'actuelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés renforce l'image de personnes dépendantes et continue à appliquer les sempiternelles dispositions de restriction et interdiction.
Ce bref historique des lois sur l'immigration donne un aperçu de la situation vécue par les personnes handicapées lorsqu'elles désirent immigrer au Canada. Quelques questions portant sur la prise de décision déontologique et sur l'éthique des pratiques d'immigration ont été posées dans l'introduction. Est-ce éthique de refuser d'accorder la citoyenneté à des personnes handicapées en se basant sur des politiques instaurées il y a plus de cent quarante ans? Est-ce éthique de réformer les lois sur l'immigration dans un esprit de droits humains tout en occultant les personnes avec des déficiences? Est-ce éthique pour les décideurs de créer des lois qui, à cause d'une déficience, s'avèrent préjudiciables envers des familles et leurs êtres chers? Est-ce éthique de décider de la valeur d'une personne en se basant uniquement sur son degré de déficience? Est-ce éthique de maintenir des lois perpétuant les stéréotypes et occultant la valeur de certaines personnes? Espérons que le lecteur répondra « Non » à toutes ces questions et que, prochainement, les obstacles auxquels sont confrontées les personnes handicapées en matière d'immigration, seront enfin éliminés.
Références
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L'auteur :
Roy Hanes, M.S.S, PhD, est professeur agrégé en service social à l'université Carleton. Depuis les 29 dernières années, il s'est surtout spécialisé dans le domaine des personnes handicapées. Il est reconnu pour son enseignement et sa recherche sur les questions touchant les personnes avec des déficiences, en traitant directement avec les personnes et leurs familles, ainsi que pour ses travaux sur les organisations communautaires pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles.
Les alliés de « Mettons fin à l’exclusion » manifestent pour l’avènement d’un Canada accessible et inclusive.