À combattre : La représentation médiatique dévalorisant les personnes handicapées.

Dans la culture occidentale, la vie avec une déficience est perçue de manière négative.  Pour les personnes  non  handicapées, déficience implique souffrance et médiocre qualité de vie.  Selon Paul Longmore, chercheur de l’université de San Francisco et éminent intervenant pour les personnes handicapées, les professionnels de la santé évaluent la vie avec une déficience beaucoup moins positivement que ne le font les personnes concernées.  Le Canada fourmille d’exemples de préjugés sociétaux.  Le plus récent, est la dévalorisation des personnes handicapées dans l’alarmant épisode « Taking Mercy » de la série 16 x 9 de la télévision Global.

Annette Corriveau y revendiquait la légalisation de l’euthanasie, estimant qu’il valait mieux que ses enfants adultes Jeffrey et Janet soient morts plutôt que de vivre avec leurs déficiences intellectuelles, dues à la  maladie de Sanfillipo.   Global Television avait invité Robert Latimer et son allié le professeur d’université Arthur Schafer pour légitimer la position d’Annette.  Or, les tribunaux canadiens ont condamné Robert Latimer pour le meurtre de sa fille Tracy, atteinte de paralysie cérébrale.  Tout comme Janet et Jeffrey, Tracy était incapable de marcher, de courir et de s’alimenter seule.  Malgré leur état chronique, Janet et Jeffrey ne sont pas en phase terminale, à la veille d’une mort imminente.

Tel que défini dan le modèle social du handicap, le concept de la déficience résulte de l’interprétation sociétale et culturelle des limitations fonctionnelles.  Au cours de l’émission « Taking Mercy »,  une grave déficience était synonyme de souffrance que seule la mort pouvait soulager.  Cette affirmation confirme le stéréotype erroné et négatif selon lequel il vat mieux mourir que vivre  une déficience.

Dans cette émission, la signification de la déficience était précisée par des personnes non handicapées.  Catherine Frazee, théoricienne en études de la condition des personnes handicapées, a critiqué le manque d’imagination des personnes sans déficiences, incapables de concevoir qu’une vie différant de la leur à cause d’une déficience puisse être  riche et joyeuse.  Les producteurs de l’émission « Taking Mercy » n’ont pas invité des personnes handicapées qui, de par leur vécu, auraient pu contester les stéréotypes discriminatoires fondés sur la capacité physique.  Au détriment de  toute impartialité journalistique, ils ont éliminé les connaissances empiriques des personnes avec des déficiences.

Si les producteurs avaient inclus des personnes gravement handicapées dont la vie n’est pas une vie de souffrance mais au contraire source de contributions et  de créativité, les téléspectateurs de la Global Television auraient eu une toute autre perception.

Le puissant message véhiculé par les personnes handicapées est transmis dans le vidéo 100 Huntley Street «  Redefining Disability », disponible sur You Tube et présentant un instantané du Dr Heidi Janz, Ph.D, scénariste et professeur d’université atteinte de paralysie cérébrale, qui utilise un système de réflexion du son (échoing) pour compenser son trouble de la parole.  En effet, une collègue, habituée à l’élocution d’Heidi, articule ses commentaires.  Dans ce vidéo, Heidi soutient qu’elle a été uniquement équipée pour être la voix des personnes avec des déficiences.  Elle cherche à redéfinir le handicap, non seulement par son travail sur l’éthique des personnes handicapées,  à l’université de l’Alberta, mais encore en tant que scénariste.  « je dois être en mesure d’affirmer que je suis une personne handicapée sans que ma vie soit dévalorisée par d’autres, ce qui est malheureusement souvent le cas, affirme-t-elle. »  La pièce semi-autobiographique « The Book of Jobes », retrace la vie de Rachel Jobes, une universitaire handicapées victime de violence domestique.

David Martin, atteint de dystrophie musculaire, se déplace en fauteuil roulant et utilise un respirateur.  David est conseiller spécial de l’honorable Jennifer Howard, ministre responsable des questions touchant les personnes handicapées au Manitoba.  David est allé jusqu’en Ukraine et aux Antilles pour exposer son expertise sur les questions des personnes avec des déficiences.

La Winnipégoise Catherine Schaefer, qui a une déficience intellectuelle  et se déplace en fauteuil roulant, vit chez elle soutenue par son personnel, sa famille et ses amis.  Dans Does She Know She’s There, sa mère parle des contributions de Catherine à la société, notamment de sa participation  dans des programmes scolaires où elle enseigne la diversité.

Si les producteurs de Global avaient inclus les points de vue de Heidi, de David et de Catherine ou de nombreux autres Canadiennes et Canadiens vivant avec de graves déficiences, les téléspectateurs de l’émission « Taking Mercy » auraient compris que déficience et souffrance ne sont pas synonymes.  Ils auraient aussi compris que les déficiences et les prestigieux succès universitaires, les voyages internationaux et les relations incluant le soutien et l’amour de la famille ne sont pas mutuellement exclusifs.  Mais hélas, le message négatif de « Taking Mercy » s’est propagé à des vastes auditoires.

Malheureusement, les portraits négatifs des personnes handicapées dans les médias ne se sont pas arrêtés avec l’émission de Global.  Le fameux Dr Phil a repris l’histoire d’Annette Corriveau pour la diffuser à auditoire international.  Le Dr Mark Mostert, de l’Institute for the Study of Disability and Bioethics, a demandé des excuses et a déclaré : « Le Dr Phil doit des excuses aux cinquante millions et plus d’Américaines et d’Américains avec des déficiences.  Plus tard dans la semaine, il a diffusé sous forme d’un sérieux débat avisé, un segment  pro-euthanasie non apologétique.  Le sujet :  
Est-ce que les personnes ayant de graves déficiences devraient être euthanasiées puisqu’elles n’ont pas de qualité de vie. »

Les  Canadiens avec déficiences ont réprimandé  Global Television

Le Conseil des Canadiens avec déficiences a porté plainte auprès du Conseil canadien des normes de la radiodiffusion (CCNR), soutenant que l’épisode « Taking Mercy » enfreint le Code sur la représentation équitable.  Le Code stipule que « les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne renferment aucun contenu ou commentaire stéréotypé indûment négatif en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.» En n’incluant pas les personnes handicapées avec des points de vue différents, l’émission « Taking Mercy » a renforcé le stéréotype selon lequel « il vaut mieux mourir que de vivre avec une déficience. »  Le CCD conteste cette représentation négative car les médias contribuent largement à l’ancrage  de perceptions sociétales du handicap.   L’Association canadienne pour l’intégration communautaire a également porté plainte.

Malheureusement, l’émission « Taking Mercy » ne fait pas exception à la règle.  C’est un reportage stéréotypé sur les personnes handicapées et l’euthanasie.  Karen D. Swartz et Zana M. Lutifyya qui ont étudié la couverture médiatique de l’affaire Houle/Fariala sur le suicide assisté, ont constaté que «  les divers articles sur les personnes handicapées et l’euthanasie décrivent la déficience comme un sort pire que la mort.  Ils confondent déficience et maladie fatale et perpétuent le stéréotype prévalant dans notre société selon lequel les conditions hors normes sont inacceptables ».   Cette représentation négative des personnes handicapées alimente les pressions pour la légalisation du suicide assisté.

Le lobby en faveur du suicide assisté se propage au Canada.  Dans son rapport « Mourir dans la dignité », publié en mars 2012, la Commission spéciale québécoise sur la question de mourir dans la dignité recommande que « l’aide médicale à la mort » soit incluse dans les soins palliatifs.  Le cas Carter en Colombie britannique est une contestation constitutionnelle de la loi canadienne interdisant le suicide assisté.  L’affaire Leblanc cherche à faire abroger cette loi.   Légaliser le suicide assisté est la porte ouverte aux abus mortels contre les personnes handicapées et les personnes âgées.  C’est la raison pour laquelle nous devons combattre les représentations médiatiques stéréotypées renforçant le postulat voulant qu’il vaut mieux être mort que vivre avec une déficience.  Portez plainte auprès du  Conseil canadien des normes de la radiodiffusion chaque fois que vous en verrez une dans les médias, corroborant  les stéréotypes négatifs sur les personnes avec des limitations fonctionnelles. 
Sources
Longmore, P. (2003) Why I Burned My Book and Other Essays on Disability. Temple University Press.

100 Huntley Street. (2012) “Redefining Disability” Heidi Janz. <http://www.youtube.com/watch?v=-6wHbMGddiU  >

Schaefer, Nicola. (1999) Does She Know She’s There? Fitzhenry & Whiteside.

Schwartz, Karen D, and Lutifyya, Zana M. (2009) “ ‘What lay ahead…’: a media portrayal of disability and assisted suicide.” Journal of Research in Special Educational Needs. Volume 9 Numéro 1.

Université de Winnipeg. (2007) “Distinguished Alumni Award David Martin.” <http://www.uwinnipeg.ca/index/alumni-dist-martin >