Lettre ouverte: Réaction de la collectivité des personnes handicapées relativement à l'entrevue de Latimer à la CBC

Le 2 mars 2006

Nous voilà une fois encore obligés de supporter l'indignation vertueuse de Robert Latimer vis-à-vis de sa condamnation pour le meurtre de sa fille vulnérable, âgée de douze ans. Il a eu ses heures de gloire auprès des tribunaux. La Cour d'appel de la Saskatchewan a confirmé sa condamnation à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant dix ans. Pratiquement huit (8) ans après son crime, il a perdu son dernier appel auprès de la Cour suprême du Canada et a commencé à purger sa peine. Toutefois, depuis sa première arrestation, il a inlassablement fait appel aux tribunaux et, grâce à des médias complaisants, à l'opinion publique. Combie de fois encore les Canadiens avec des déficiences devront subir le jugement d'une partie de la population affirmant que nos vies ne valent pas la peine d'être vécues?

La télévision de la CBC/SRC et d'autres médias ont, en heure de grande écoute, offert à ce meurtrier impénitent la possibilité de convaincre le public de le pardonner. Ceux qui d'entre nous se sentent vulnérabilisés par la diffusion de la dangereuse rationalisation de Robert Latimer, devraient bénéficier des mêmes possibilités pour exposer leur point de vue au public.

Le jugement prononcé en 2001 par la Cour suprême du Canada le commande. En effet, le public aurait intérêt à connaître l'approche équilibrée que la Cour a adoptée pour tenir compte des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantes de cette affaire. Le jugement stipule notamment:

D'une part, nous devons prendre dûment en compte les tentatives initiales de M. Latimer de dissimuler ses actes, son absence de remords, sa position de confiance, le degré élevé de planification et de préméditation ainsi que l'extrême vulnérabilité de Tracy. D'autre part, nous sommes conscients de la bonne moralité et de la bonne réputation de M. Latimer au sein de la collectivité, de sa profonde angoisse au sujet du bien-être de Tracy ainsi que de sa persévérance louable en tant que parent qui aime sa fille et prend soin d'elle. Nous ne pouvons pas conclure que, prises ensemble, les caractéristiques personnelles et les circonstances particulières de la présente affaire l'emportent sur la gravité considérable de cette infraction. (R. c. Latimer, paragraphe 85)

Et, plus important encore, la Cour reconnaît la valeur de la dénonciation dans son jugement:

La dénonciation d'un comportement illégal est l'un des objectifs de la détermination de la peine dont fait état l'art. 718 du Code criminel. Comme l'a fait remarquer notre Cour dans R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, par.81:

Pour sa part, l'objectif de réprobation commande que la peine indique que la société condamne la conduite de ce contrevenant. Bref, une peine assortie d'un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu'elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel. [Souligné dans l'original.]

En outre, la dénonciation prend beaucoup plus d'importance dans l'examen de la peine dans les cas où il y a un «degré élevé de planification et de préméditation, et où l'infraction et ses conséquences font l'objet d'une forte publicité, [de sorte que] les personnes ayant les mêmes idées peuvent fort bien être dissuadées par des peines sévères»: R. c. Mulvahill and Snelgrove (1993), 21 B.C.A.C. 296, p.300. Cela est particulièrement vrai dans les cas où la victime est une personne vulnérable en raison de son âge, d'un handicap, ou d'autres facteurs de même nature. (R.c. Latimer, paragraphe 86)

La seule façon pour Robert Latimer d'éviter de purger les cinq dernières années de sa peine, avant d'être admissible à une libération conditionnelle, est de réclamer «la prérogative royale» de clémence fédérale, accordée par le Gouverneur en Conseil ou le Gouverneur général. Une telle idée trouvera certainement preneur au sein des divers partis. Nous comptons néanmoins sur la sagesse et la raison du nouveau gouvernement du Premier Ministre Harper.

Il serait regrettable et paradoxal d'invalider le rôle et le bien-fondé de nos tribunaux pour soutenir le point de vue biaisé de Robert Latimer. Après tout, par ses actes et ses paroles, il soutient que certaines personnes handicapées représentent tellement un fardeau pour le reste de la société qu'on devrait, en toute légitimité, mettre fin à leur vie. Pour quelle raison devrions nous abroger l'application de nos lois pour sanctionner les outrancières justifications du meurtre de Robert Latimer?

Nous ne pouvons croire que le système judiciaire du Canada fera volte-face et autorisera des parents à tuer leurs enfants.

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Jim Derksen
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