Lettre ouverte aux membres du Parlement

L’importance de la Commission canadienne des droits de la personne pour les personnes handicapées

5 Octobre, 2009

Le Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD), une organisation défendant les droits humains des personnes handicapées afin de bâtir un Canada accessible et inclusif, estime qu’il est temps pour des organismes-pairs de témoigner publiquement de la valeur de la Commission canadienne des droits de la personne au sein de la collectivité et ce, afin de contrer l’attaque biaisée, vocale et très médiatisée qui la frappe. Par de venimeuses critiques, le chroniqueur Mark Steyn de Maclean’s condamne le traitement appliqué par la CCDP aux plaintes fondées sur l’article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans son blogue du jeudi 17 septembre 2009, M. Steyn affirme:

Dans l’ancien temps du printemps 2008, les règles étaient très simples: être accusé d’un délit au titre de l’article 13 impliquait une condamnation du Tribunal canadien des droits de la personne. Au cours de l’histoire de l’article 13, tous les défendants comparaissant devant le TDP ont été jugés coupables. Nulle comparaison ne saurait être établie avec les systèmes judiciaires de Saddam Hussein et de Pol Pot puisque ces éminents juristes se sentaient obligés de gracier de temps en temps un accusé pour faire bonne impression. Le taux d’inculpation inéluctable du Canada est loin de nous rassurer quant à l’engagement progressiste du Dominion envers les «droits de la personne».

Comme le discerneront les lecteurs avisés, M. Steyn détourne sciemment la terminologie de son but premier afin de créer une image publique d’injustice. La CCDP est décrite comme un tribunal violant les idéaux et principes fondamentaux de son mandat – équité, égalité et non discrimination. Si elle n’est pas contestée, cette description risque de saper la confiance des Canadiennes et des Canadiens envers cette éminente et hautement importante institution nationale qui permet à tous et chacun d’accéder à la justice, nonobstant la situation sociale et la vulnérabilité économique.

Certes, Messieurs Mark Steyn et autres ont parfaitement le droit de contester les lois et pratiques qui, à leur avis, enfreignent les droits garantis par la Charte des droits et libertés. Le CCD craint néanmoins que cette tempête qui s’abat sur les travaux anti-propagandistes de la Commission n’obscurcisse un domaine beaucoup plus vaste - le rôle important qu’elle a joué pour assurer aux personnes handicapées, femmes, gens de couleur, autochtones, gais et lesbiennes et aux autres membres des collectivités défavorisées «le droit de tous les individus à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins», tel que stipulé par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Puisque certains journalistes caricaturent publiquement la CCDP, vous risquez d’entendre, en tant que membres du Parlement, des commentaires indignés sur le mandat de la Commission ainsi que sur la manière dont elle, son personnel et ses arbitres exécutent le rôle qui leur est dévolu. Par conséquent, afin de vous permettre de mieux saisir comment ses réalisations ont fait avancer une société canadienne plus accessible et plus inclusive pour les personnes handicapées, le CCD vous présente ci-après son point de vue sur la valeur du système canadien des droits de la personne.

Le nombre de personnes handicapées défavorisées au Canada est nettement disproportionné.

  • De nombreux Canadiennes et les Canadiens handicapés vivent et vivront certainement dans la pauvreté.
  • Plus de deux millions de Canadiens handicapés ne peuvent accéder à l’une, au moins, des aides requises en éducation, dans les lieux de travail, en modification résidentielle, appareils fonctionnels et autres qui leur permettraient de participer pleinement à leur communauté.
  • Plus de 56% des adultes handicapés en âge de travailler sont actuellement sans emploi ou hors du marché du travail. Ce taux atteint presque 60 % chez les femmes ayant des limitations fonctionnelles.
  • Selon l’Organisation mondiale du travail, l’exclusion des personnes handicapées du marché du travail entraîne une perte annuelle du PIB variant entre 1,37 milliards et 1,94 milliards de $US.
  • À travers le pays, plus de 10 000 personnes ayant des déficiences intellectuelles sont encore internées dans des institutions, y compris dans des foyers collectifs et des centres de soins collectifs.
  • Un peu plus de la moitié des enfants handicapés n’a pas accès aux dispositifs et accessoires fonctionnels requis.
  • Au sein de la société canadienne, l’incidence de la violence et des agressions perpétrées à l’égard des personnes handicapées, notamment des femmes handicapées, est l’une des plus élevées. (Mettons fin à l’exclusion)

Ces préjudices sont renforcés par des obstacles qui, au sein de la société canadienne, empêchent les personnes handicapées d’accéder aux services et aux emplois et entravent leur participation communautaire. En effet, quarante pour cent des plaintes reçues par la CCDP ont été déposées par des personnes handicapées cherchant à obtenir réparation contre de la discrimination fondée sur la déficience. Malgré ces nombreux obstacles à la pleine et égale participation des personnes avec des limitations fonctionnelles, la Commission joue un rôle prépondérant en contribuant à l’avènement d’une société canadienne sans obstacle.

Des exemples tirés des dossiers publics illustrent concrètement l’aide apportée par le système fédéral des droits de la personne pour amener les personnes handicapées à surmonter les obstacles qui les marginalisent, les empêchent de participer à la vie communautaire et les maintiennent dans le groupe des défavorisés.

Comme les autres Canadiens, les personnes sourdes aiment regarder la télévision mais les télédiffuseurs sont peu enclins à sous-titrer toute leur programmation. Suite a une plainte contre la CBC, déposée par Henry Vlug, un Canadien sourd, la CCDP a ordonné le sous-titrage intégral de toutes les émissions de télévision. (Falardeau-Ramsey, Michelle, 2001. 2001 “Last Word”. L’Association canadienne des journalistes .)


La CCDP aide les personnes handicapées à convaincre les employeurs d’apporter des accommodements en milieu de travail. Ainsi, dans le cas Dawson c. La Société canadienne des postes, le Tribunal canadien des droits de la personne a ordonné à Postes Canada «de collaborer avec la Commission canadienne des droits de la personne pour modifier ses politiques et de mettre sur pied, à l’intention de ses gestionnaires et de son personnel, un programme de formation en équité en milieu de travail, en mesures d’accommodement et en sensibilisation, notamment au sujet de l’autisme et des personnes autistes.» Ce jugement ponctuait une plainte déposée par Michelle Dawson, une femme autiste qui avait été «victime de discrimination de la part de Postes Canada du fait que ses collègues avaient fait courir la rumeur qu’elle s’automutilait et avait une propension à la violence, d’une part, et que son employeur lui avait ordonné de se soumettre à une évaluation médicale lorsqu’elle avait dû prendre congé en raison de cette rumeur», (Rapport annuel 2008 du Tribunal canadien des droits de la personne)

Dans le cas Audet c. la Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada, 2006, TCDP 25, le Tribunal a conclu que le CN avait agit de manière discriminatoire à l’égard de M. Audet qui travaillait comme serre-freins lorsqu’il a été victime d’une crise d’épilepsie. Le CN n’a pas officiellement licencié M. Audet mais il a arrêté de lui offrir des quarts de travail. Le Tribunal a statué que le CN avait fait preuve de discrimination à pour motif de déficience et lui a ordonné de réintégrer le plaignant dans son service, le plus rapidement possible. (Rapport annuel 2006 du Tribunal canadien des droits de la personne)

Dans le cas Green c. la Commission de la fonction publique du Canada, le Conseil du Trésor et le ministère du Développement des ressources humaines du Canada, le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que Mme Green, une personne ayant des troubles d’apprentissage, avait été victime de discrimination pour motif de déficience parce que les intimés observaient des pratiques tendant à priver les personnes ayant une incapacité d’apprentissage de possibilités d’emplois. Suite au jugement du Tribunal, Mme Green a obtenu le poste qu’elle visait ainsi qu’une indemnisation pour perte de salaire; le Tribunal a en outre ordonné aux ministères de s’assurer que leur personnel respectait les politiques du gouvernement fédéral ayant pour but de prévenir la discrimination et de lui donner une formation sur le respect de la non-discrimination dans les pratiques d’emploi. (Rapport annuel 1998 du Tribunal des droits de la personne)

Comme les prouvent ces exemples, grâce aux Commissions des droits de la personne, des Canadiennes et les Canadiens handicapés ont forcé d’importantes sociétés canadiennes et des ministères fédéraux à modifier leurs pratiques discriminatoires en faveur de l’égalité. Les gains vont quelquefois au-delà du recours individuel, notamment quant les intimés sont priés de réformer leurs politiques et pratiques. Les solutions systémiques engendrent des changements qui, par effet ondulatoire, provoquent des transformations grâce à la création de politiques, de pratiques et de services respectant les besoins et les différentes capacités d’une vaste gamme de Canadiennes et de Canadiens.

Les Canadiens avec des déficiences estiment que le pays a un besoin constant de Commissions de droits de la personne. Les obstacles continuent à se propager puisque de nouvelles technologies et de nouveaux produits sont sans cesse développés sans que leur interaction avec les différentes déficiences soit prise en considération. La vague de l’informatique qui déferle sur le pays répand également de nouveaux obstacles pour un nombre de plus en plus croissant de personnes avec des déficiences. Ainsi, pour utiliser les postes de divertissement dans les avions, les voyageurs doivent sélectionner, sur un écran, des commandes présentées en format visuel. Ce qui constitue un nouvel obstacle pour les malvoyants. La Commission devrait régler cette question au cours des prochains mois et, nous l’espérons, supprimer cette autre entrave.

Le CCD exhorte les Canadiennes et les Canadiens à ne pas oublier, lorsqu’ils discuteront des travaux de la CCDP et des autres organes provinciaux, que les Commissions contribuent, depuis fort longtemps à la création d’un Canada accessible et inclusif. Les Canadiens handicapés ont besoin de Commissions dynamiquement engagées dans l’élimination des obstacles à leur pleine et égale participation canadienne. Le CCD enjoint tous les gouvernements à appuyer les Commissions et à les doter des ressources nécessaires pour qu’elles puissent jouer leur rôle-clé de grands bâtisseurs d’un Canada accessible et exclusif.

Veuillez agréer l’expression de mes sentiments les plus respectueux.



Marie White
Présidente du CCD

 

Sources:

Falardeau-Ramsey, Michelle, 2001. 2001 “Last Word”. L’Association canadienne des journalistes.
Lynch, Jennifer. «Le système fédéral de protection des droits de la personne : des approches modernes pour des enjeux modernes», notes pour une allocution de Jennifer Lynch, Présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, Conférence annuelle 2009 de l’Association canadienne des commissions et conseil des droits de la personne (ACCCDP), lundi 15 juin 2009
Mettons fin à l’exclusion, site Web
Steyn, Mark. 2009. “It took a while but Section 13 is dead. Macleans.ca.
Steyn, Mark. 2009. The fat cats vs. Blazing Cat Fur. Maclean’s, 6 juillet 2009. Worthington, Peter. 2009. “Rein in the human rights bureaucracy” Toronto Sun.
Tribunal canadien des droits de la personne, rapport annuel 1998
Tribunal canadien des droits de la personne, rapport annuel 2006
Tribunal canadien des droits de la personne, rapport annuel 2008